Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, Lévy, 1854.djvu/18

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meilleur soutien de la Testa di bronzo ; on lui préfère presque Remorini (le ministre), belle basse aussi et qui a une voix très-flexible, très-variée, chose rare dans les basses ; mais ce n’est qu’un bel instrument, toujours le même et presque sans âme. Un cri partant du cœur, o fortunato istante ! dont la musique n’a pas vingt mesures, a fait sa réputation dans cet opéra. L’accent de la nature a été saisi par le maestro et reconnu avec transport par le public.

La Fabre, jeune Française née ici dans le palais du prince et protégée par la vice-reine, a une belle voix, surtout depuis qu’elle a vécu avec le célèbre soprano Velluti. Elle est à ravir dans certains morceaux passionnés. Il lui faudrait une salle moins vaste. Du reste, on la dit amoureuse de l’Amour. Je n’en doute plus, depuis que je lui ai vu chanter Stringerlo all petto, au second acte, au moment où elle apprend que son époux, qu’on avait entendu fusiller, est sauvé. Un des confidents du ministre avait fait distribuer aux soldats des cartouches sans balles. Circonstance singulière et touchante, à la représentation de ce soir, tout le théâtre est intéressé[1]. Quand la Fabre est distraite ou fatiguée, rien de plus commun ; dans un sérail, ce serait un grand talent. Elle a vingt ans ; même mauvaise, je la préfère infiniment à ces chanteuses sans âme, à mademoiselle Cinti, par exemple.

Bassi est excellent : ce n’est pas l’âme qui lui manque à celui-là ! Quel bouffe divin s’il avait un peu de voix ! Quel feu ! quelle énergie ! quelle âme toute à la scène ! Il joue tous les soirs, depuis quarante jours, cette Tête de bronze ; n’ayez pas peur qu’il jette un regard dans la salle ; il est toujours le valet de chambre poltron et sensible du duc de Hongrie. En France, un homme d’autant d’esprit (Bassi fait de jolies comédies) aurait peur d’être ridicule par l’importance qu’il met à son rôle, même quand personne ne l’écoute. Je lui ai fait ce soir celle objection ; il m’a répondu : « Je joue bien pour me faire plaisir

  1. Madame la maréchale Ney était au spectacle. On parvint à la faire sortir avant le moment où l’on entend le feu de peloton qui exécute la sentence.