Page:Stendhal - Rome, Naples et Florence, Lévy, 1854.djvu/21

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près des maisons quand il pleut ; des conduits de fer-blanc amènent les eaux des toits dans le canal qui passe sous chaque rue. Comme les corniches sont fort saillantes, on est presque à l’abri de la pluie en marchant le long des maisons.

Le lecteur se moquerait de mon enthousiasme si j’avais la bonhomie de lui communiquer tout ce que j’écrivis, le 4 octobre 1816, en revenant de Dèsio. Cette charmante villa appartient au marquis Cusani, qui, sous Napoléon, voulut rivaliser de luxe avec le duc Litta.

Galli est enrhumé. Ou nous redonne un opéra de Mayer, Elena, qu’on jouait avant la Testa di bronzo. Comme il parait languissant !

Quels transports au sestetto du second acte ! Voilà cette musique de nocturne, douce , attendrissante , vraie musique de la mélancolie, que j’ai souvent entendue en Bohème. Ceci est un morceau de génie que le vieux Mayer a gardé depuis sa jeunesse, ou qu’il a pillé quelque part ; il a soutenu tout l’opera. Voilà un peuple né pour le beau : un opéra de deux heures est soutenu par un moment délicieux qui dure à peine six minutes ; on vient de cinquante milles de distance pour entendre ce sestetto chanté par mademoiselle Fabre, Remorini, Bassi, Bonoldi, etc., et pendant quarante représentations, six minutes font passer sur une heure d’ennui. Il n’y a rien de choquant dans le reste de l’opéra, mais il n’y a rien. Alors on fait la conversation dans les deux cents petits salons, avec une fenêtre garnie de rideaux donnant sur la salle, qu’on appelle loges. Une loge coûte quatre-vingts sequins ; elle en coûtait deux cents ou deux cent cinquante, il y a six ans, dans les temps heureux de l’Italie (règne de Napoléon, de 1805 à 1814). Napoléon a volé à la France la liberté dont elle jouissait en 1800 et ramené les jésuites. En Italie, il détruisait les abus et protégeait le mérite. Après vingt années du despotisme raisonné de ce grand homme, ces gens-ci eussent peut-être été dignes des deux chambres.

Je vais dans huit ou dix loges ; rien de plus doux, de plus aimable, de plus digne d’être aimé que les mœurs milanaises. C’est l’opposé de l’Angleterre ; jamais de figure sèche et désespérée. Chaque femme est en général avec son amant ; plaisanteries