Page:Stendhal - Souvenirs d’égotisme, 1927, éd. Martineau.djvu/195

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hommes comme un roman emphatique et élégant était délicieuse pour les femmes. Il était toujours plaisant, délicat, rempli de ces phrases qui veulent tout dire si l’on veut. Il n’avait point cette gaieté qui fait peur qui est devenue mon lot. Il était difficile d’être plus joli et moins raisonnable que mon oncle Gagnon. Aussi n’a-t-il pas poussé loin sa fortune du côté des hommes. Les jeunes gens l’enviaient sans pouvoir l’imiter. Les gens mûrs, comme on dit à Grenoble, le trouvaient léger. Ce mot suffit pour tuer une réputation. Mon oncle quoique fort ultra, comme toute ma famille en 1815, ayant même émigré vers 1792, n’a jamais pu sous Louis XVIII être conseiller à la cour royale de Grenoble et cela quand on remplissait cette cour de coquins comme Faure, le notaire, etc., etc., et de gens qui se vantaient de n’avoir jamais lu l’abominable Code civil de la révolution. En revanche mon oncle a eu exactement toutes les jolies femmes qui, vers 1788, faisaient de Grenoble l’une des plus agréables villes de province. Le célèbre Laclos que je connus, vieux général d’artillerie, dans la loge de l’état-major à Milan et auquel je fis la cour à cause des Liaisons dangereuses, apprenant de moi que j’étais de Grenoble, s’attendrit.

Mon oncle donc quand il me vit partir