Page:Stendhal - Souvenirs d’égotisme, 1927, éd. Martineau.djvu/43

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tel homme qui passait, lui ne les voyant que comme six ou sept.

Voilà ce qui a fait le fond de nos conversations pendant huit ans ; nous nous cherchions d’un bout de Paris à l’autre.

Lussinge, âgé alors de trente-six ou trente-sept ans, avait le cœur et la tête d’un homme de cinquante-cinq ans. Il n’était profondément ému que des événements à lui personnels ; alors il devenait fou, comme au moment de son mariage. À cela près, le but constant de son ironie, c’était l’émotion. Lussinge n’avait qu’une religion : l’estime pour la haute naissance. Il est, en effet, d’une famille du Bugey, qui y tenait un rang élevé en 1500 ; elle a suivi à Turin les ducs de Savoie, devenus rois de Sardaigne.

Lussinge avait été élevé à Turin à la même académie qu’Alfieri ; il y avait pris cette profonde méchanceté piémontaise, au monde sans pareille, qui n’est cependant que la méfiance du sort et des hommes. J’en retrouve plusieurs traits à Rome ; mais, par-dessus le marché ici, il y a des passions et, le théâtre étant plus vaste, moins de petitesses bourgeoises.