Page:Stendhal - Souvenirs d’égotisme, 1927, éd. Martineau.djvu/47

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tenu par M. Pique, bon bourgeois, et Mme Pique, alors jolie, dont Maisonnette, un de nos amis communs, obtenait, je crois, des rendez-vous à cinq cents francs l’un. Je me retirai au café Lemblin, le fameux café libéral également situé au Palais-Royal. Je ne voyais plus Lussinge que tous les quinze jours ; depuis, notre intimité, devenue un besoin pour tous les deux, je crois, a voulu souvent se renouer, mais jamais elle n’en a eu la force. Plusieurs fois après, la musique ou la peinture, où il était instruit, étaient pour nous des terrains neutres, mais toute l’impolitesse de ses façons revenait avec âpreté dès que nous parlions politique et qu’il avait peur pour ses 22.000 francs, il n’y avait pas moyen de continuer. Son bon sens m’empêchait de m’égarer trop loin dans mes illusions poétiques. Ma gaîté, car je devins gai ou plutôt j’acquis l’art de le paraître, le distrayait de son humeur sombre et méchante et de la terrible peur de perdre.

Quand je suis entré dans une petite place en 1830, je crois qu’il a trouvé les appointements trop considérables. Mais enfin, de 1821 à 1828, j’ai vu Lussinge deux fois par jour, et à l’exception de l’amour et des projets littéraires auxquels il ne comprenait rien, nous avons longuement bavardé