Page:Stendhal - Souvenirs d’égotisme, 1927, éd. Martineau.djvu/65

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tournure élégante et singulière. Il porte habituellement une visière verte sous prétexte qu’il est aveugle. Je l’avais vu recevoir à l’Académie par M. de Ségur, qui lui dit des sottises au nom du despotisme impérial — c’était en 1811, je crois. Quoique attaché à la cour, je fus profondément dégoûté. Nous allons tomber dans la barbarie militaire, nous allons devenir des général Grosse, me disais-je.

Ce général, que je voyais chez Mme  la comtesse Daru, était un des sabreurs les plus stupides de la garde impériale — c’est beaucoup dire. Il avait l’accent provençal et brûlait surtout de sabrer les Français ennemis de l’homme qui lui donnait la pâture. Ce caractère est devenu ma bête noire, tellement que le soir de la bataille de la Moskowa, voyant à quelques pas les restes de deux ou trois généraux de la garde, il m’échappa de dire : « Ce sont des insolents de moins ! » propos qui faillit me perdre et eut l’air inhumain.

M. de Tracy n’a jamais voulu permettre qu’on fît son portrait. Je trouve qu’il ressemble au pape Corsini Clément tel qu’on le voit à Sainte-Marie-Majeure, dans la belle chapelle à gauche en entrant.

Ses manières sont parfaites, quand il n’est pas dominé par une abominable humeur noire. Je n’ai deviné ce caractère