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Page:Stendhal - Vie de Henri Brulard, t1, 1913, éd. Debraye.djvu/59

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VIE DE HENRI BRULARD

je suis tout le compte sur mes doigts… et 1833, cinquante. Est-il bien possible ! Cinquante ! Je vais avoir la cinquantaine ; et je chantais l’air de Grétry :

Quand on a la cinquantaine.


Cette découverte imprévue ne m’irrita point, je venais de songer à Annibal et aux Romains. De plus grands que moi sont bien morts !… Après tout, me dis-je, je n’ai pas mal occupé ma vie, occupé ! Ah ! c’est-à-dire que le hasard ne m’a pas donné trop de malheurs, car en vérité ai-je dirigé le moins du monde ma vie ?

Aller devenir amoureux de Mlle de Griesheim ! Que pouvais-je espérer d’une demoiselle noble, fille d’un général en faveur deux mois auparavant, avant la bataille de Iéna ! Brichaud avait bien raison quand il me disait, avec sa méchanceté habituelle : « Quand on aime une femme, on se dit : Qu’en veux-je faire ? »

Je me suis assis sur les marches de San Pietro et là j’ai rêvé une heure ou deux à cette idée : je vais avoir cinquante ans, il serait bien temps de me connaître. Qu’ai-je été, que suis-je, en vérité je serais bien embarrassé de le dire.

Je passe pour un homme de beaucoup d’es[prit] et fort insensible, roué même, et je vois que j’ai été