Page:Stendhal - Vies de Haydn, de Mozart et de Métastase, 1928, éd. Martineau.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On ne peut pas sentir dans le même moment l’effet de deux mélodies, et le plaisir qu’elles peuvent donner ne laisse pas assez de traces dans la mémoire pour qu’on puisse les juger de loin.

Je ne vois qu’une exception. Un homme entend l’air

Fanciulla sventurata

Nemici generosi.

À Venise, au théâtre de la Fenice, il est à côté d’une femme qu’il aime éperdument, mais qui ne répond pas à sa passion. Dans la suite, revenu en France, il entend de nouveau cet air charmant : il tressaille ; le plaisir pour lui est à jamais attaché à ces sons si doux ; mais cet air, dans ce cas, est le buisson d’acacia épineux de Mortimer.

Les ouvrages des grands artistes, une fois qu’ils atteignent à un certain degré de perfection, ont des droits égaux à notre admiration ; et la préférence que nous accordons tantôt à l’un, tantôt à l’autre, dépend absolument de notre tempérament ou la disposition où nous nous trouvons. Un jour c’est le Dominiquin qui me plaît, et que je préfère au Guide ; le lendemain, la céleste beauté des têtes de celui-ci l’emporte, et j’aime mieux