Page:Sterne - Œuvres complètes, t1-2, 1803, Bastien.djvu/85

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me reprendre : mes autres infirmités m’incommodent bien moins. Ce n’est pas même la faute du public si j’en souffre ; mais ici, si je m’exalte, je suis perdu. Quelque chemin que je prenne, quelque pas que je fasse sous la direction de l’orgueil, je mets nécessairement le pied sur quelqu’un. Je l’offense ; et je dois me préparer à en être repoussé et à rétrograder avec la douleur de l’humiliation.

Et puis, l’homme peut-il être vain quand il jette un coup-d’œil sur ses imperfections naturelles et morales ? il est impossible d’y réfléchir un seul instant sans sentir son cœur plein de la plus humble conviction, sans entendre du fond de ce sanctuaire une voix qui répète : ô Dieu ! qu’est-ce que l’homme ? rien et toujours rien : c’est un malheureux, un infirme, un être de quelques jours, qui passe comme une ombre.

Il tombe tout-à-coup du théâtre avec ses titres, ses distinctions scéniques, dépouillé de ses habits dramatiques et du masque que l’orgueil a soutenu un instant sur son visage : et il reste nu comme son esclave. Arrêtez votre imagination sur la dernière scène que l’homme puissant et orgueilleux donne au monde qu’il a tenu dans la crainte et le res-