Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vis qu’elle pensoit à son père, plus qu’à son amant, ou à sa petite chèvre ; car en proférant ces paroles, des larmes couloient le long de ses joues.

Je m’assis à côté d’elle, et Marie me laissa essuyer ses pleurs avec mon mouchoir ; — j’essuyois ensuite les miens ; — puis encore les siens ; puis encore les miens, et j’éprouvois des émotions qu’il me seroit impossible de décrire, et qui, j’en suis bien sûr, ne provenoient d’aucune combinaison de la matière et du mouvement.

Oh ! je suis certain que j’ai une ame. Les matérialistes et tous les livres dont ils ont infecté le monde, ne me convaincront jamais du contraire.


MARIE.


Quand Marie fut un peu revenue à elle, je lui demandai si elle se souvenoit d’un homme pâle et maigre qui s’étoit assis entre elle et sa chèvre, il y avoit deux ans. Elle me répondit que dans ce temps-là elle avoit l’esprit dérangé ; mais qu’elle s’en rappeloit très-bien, à cause de deux circonstances qui l’avoient frappée ; l’une, que quoiqu’elle fût très-mal, elle s’étoit bien aperçue que ce