Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/300

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la confiance qu’elle m’avoit accordée, ne me diront-ils point : Elle n’est plus, et tu vis ?

Eliza devoit quitter sa patrie, ses parens, ses amis pour venir s’asseoir à côté de moi, et vivre parmi les miens. Quelle félicité je m’étois promise ! quelle joie je me faisois de la voir recherchée des hommes de génie ! chérie des femmes du goût le plus difficile ! Je me disois, Eliza est jeune, et tu touches à ton dernier terme. C’est elle qui te fermera les yeux. Vaine espérance ! ô renversement de toutes les probabilités humaines ! ma vieillesse a survécu à ses beaux jours. Il n’y a plus personne au monde pour moi. Le destin m’a condamné à vivre et à mourir seul.

Eliza avoit l’esprit cultivé ; mais cet art, on ne le sentoit jamais. Il n’avoit fait qu’embellir la nature ; il ne servoit en elle qu’à faire durer le charme. À chaque moment elle plaisoit plus ; à chaque moment elle intéressoit davantage. C’est l’impression qu’elle avoit faite aux Indes ; c’est l’impression qu’elle faisoit en Europe. Eliza étoit donc très-belle ? Non, elle n’étoit que belle ; mais il n’y avoit point de beauté qu’elle n’effaçât, parce qu’elle étoit la seule comme elle.