Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/353

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celle de l’avarice ; point d’autre bonheur que celui de ramasser une seconde fois sordidement, et de resserrer avec inquiétude ce qu’il a dépensé sans discernement.

Dans le dernier acte de la vie, voyez le vieillard tremblotant ; enfermé, séparé du monde entier, tombant insensiblement dans le mépris, employant des jours sans plaisirs, et des nuits sans sommeil à la poursuite d’un objet dont son cœur rétréci ne jouira jamais. Écoutons-le murmurer, en pâlissant sur son trésor, de ce que ses yeux ne seront jamais rassasiés, ou dire en soupirant : Hélas ! pour qui travaillé-je ! pour qui me privé-je du repos ?

Je viens d’esquisser la peinture des maux de la vie humaine, et de la manière dont le bonheur échappe à nos embrassemens. À Dieu ne plaise cependant que je nie la réalité des plaisirs, moi qui n’ai pas nié celle des peines. Mon dessein est seulement de faire connoître la différence qu’il y a entre les plaisirs et le bonheur. La félicité ne peut pas exister sans plaisirs, mais la proposition inverse n’est pas véritable, et nous sommes créés de telle façon, que voyant passer devant nos yeux cette multiplicité d’objets qui les fascinent, nous en saisissons quelques-uns, et nous manquons tous les autres, sans