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Page:Sterne - Œuvres complètes, t5-6, 1803, Bastien.djvu/75

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Je lui offris un de mes huit sous, uniquement parce qu’il avoit été honnête.

Un pauvre petit homme plein de vivacité, et qui étoit vis-à-vis de moi, après avoir mis sous son bras un fragment de chapeau, tira sa tabatière de sa poche, et offrit généreusement une prise de tabac à toute l’assemblée… C’étoit un don de conséquence, et chacun le refusa en faisant une inclination… Il les sollicita avec un air de franchise : prenez, prenez-en, en regardant d’un autre côté ; à la fin chacun en prit. Ce seroit dommage, me dis-je, que sa boîte se vidât. J’y mis deux sous, et j’y pris moi-même une prise de tabac pour lui rendre le don plus agréable. Il sentit le poids de la seconde obligation plus que celui de la première… C’étoit lui faire honneur ; l’autre, au contraire, étoit humiliante : il me salua jusqu’à terre.

Tenez, dis je à un vieux soldat qui n’avoit qu’une main, et sembloit avoir vieilli dans le service, voilà deux sous pour vous… Vive le roi ! s’écria le vieux soldat.

Il ne me restoit plus que trois sous ; j’en donnai un pour l’amour de Dieu : c’est à ce titre qu’on me le demandoit. La pauvre femme avoit la cuisse disloquée : on ne peut pas soupçonner que ce fût pour un autre motif.