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Page:Stevens - Contes populaires, 1867.djvu/107

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PIERRICHE.

poche de farine qu’il vida dans la huche, et se mit à pétrir la pâte avec fureur.

On était alors dans la canicule, et le soleil, — un beau soleil du mois de juillet — jetait par la porte ouverte des torrents de chaleur sur la huche et Pierriche qui tournait et retournait sa pâte en geignant et suant à grosses gouttes.

Pierriche avait, dans sa cave, un petit tonneau de bière d’épinette, Pierriche avait chaud, Pierriche avait soif ; Pierriche pensa donc qu’il ne ferait pas mal d’aller se rafraîchir, et comme il mettait vite à exécution ses idées quand il lui en passait par la tête, Pierriche souleva la trappe de son plancher et se dirigea à tâtons vers le fameux tonneau.

Comme il se désaltérait largement avec cette légitime satisfaction d’un propriétaire qui boit de son propre crû, il entendit tout-à-coup, au-dessus de sa tête, un bruit formidable. Pierriche se précipita vers la trappe et d’un bond fut hors de la cave.

Horreur ! ô spectacle trois et quatre fois déchirant pour un père nourricier !… Le goret en bas âge avait renversé la huche et dévorait la pâte à pleines gueulées.

Ivre… de fureur et ne sachant trop ce qu’il faisait, Pierriche, le bon Pierriche détacha au malheureux animal un coup de pied si vigoureusement appliqué, que le goret en bas âge pirouettant sur lui-même, s’abattit comme frappé de la foudre, ouvrit un œil mourant qu’il referma soudain, et ne bougea plus.

Adieu les doux réveillons de Noël ! adieu les fêtes du nouvel an et des Rois ! avec son dernier soupir, le goret emportait la douce perspective du boudin et des jambons.

Pierriche entrevit tout cela dans un éclair ; et pour comble d’infortune, il s’aperçut alors qu’il tenait à la main la cheville de bois qui bouchait son tonneau.