Page:Stevenson - Catriona.djvu/239

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ma colère et il n’y eut pas d’injures que je ne lui adressasse au fond du cœur. Ce que j’avais entendu raconter de l’orgueil de cette race des Highlands me paraissait dépassé par cette stupide querelle. Je trouvais invraisemblable qu’une jeune fille pût être froissée par une allusion aussi insignifiante et venant d’une amie intime. Peut-être, me disais-je, que si je l’avais embrassée, elle aurait bien pris la chose, et parce qu’elle avait vu cette hypothèse envisagée dans une lettre avec une pointe de gaieté elle se mettait dans une telle colère ! Il me semblait qu’en voyant un tel manque de jugement chez les femmes, les anges devaient pleurer sur le sort des pauvres hommes !

À souper, nous nous trouvâmes encore à côté l’un de l’autre, mais quel changement ! Son visage était celui d’une poupée de bois ; elle ne m’adressa pas la parole et me traita comme un étranger. J’aurais été capable ou de la frapper, ou de lui demander pardon à genoux, mais elle ne me donna l’occasion de faire ni l’un, ni l’autre. Dès que le repas fût fini, elle se rapprocha de M. Gibbie, qu’elle avait plutôt négligé jusque-là, et eut l’air de vouloir rattraper le temps perdu. Puis elle se mit à flirter avec le capitaine Sang : c’était un respectable père de famille, mais il m’était insupportable de la voir causer familièrement avec un autre que moi.

Les jours suivants, elle sut si bien s’y prendre pour m’éviter, que je dus attendre longtemps l’occasion de lui parler, et quand, enfin, cela me fut possible, je n’en fus pas plus avancé, comme vous allez voir.

« Catriona, lui dis-je, je ne puis croire que je vous aie offensée gravement. Sûrement, vous pouvez me pardonner.

— Je n’ai pas à vous pardonner, répondit-elle, parlant avec peine ; je vous suis très reconnaissante de vos bontés. »