Page:Stevenson - Catriona.djvu/269

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Je ne vous aimerai jamais qu’en plein air. Je pense que nous devrions imiter les Bohémiens et vivre sur les routes. »

Ce fut notre plus délicieuse promenade ; elle se serrait contre moi, sous la neige abondante qui nous fouettait le visage et fondait sur nous, les gouttes d’eau brillaient comme des larmes et s’écoulaient autour de sa bouche souriante. Cette vue me communiquait une force de géant. Je me sentais de taille à l’enlever et à l’emporter en courant jusque dans les endroits les plus reculés du globe ! Et cependant, nous causions avec une douce liberté…

Il était nuit noire quand nous rentrâmes. À la porte de la maison, elle me pressa le bras contre sa poitrine.

« Merci pour ces bonnes heures », murmura-t-elle d’un ton profondément ému.

Le trouble que je ressentis à ces paroles me mit aussitôt sur mes gardes, et dès que nous fûmes dans l’appartement et les lumières allumées, elle put retrouver sur mon visage l’expression sévère que prenait le lecteur d’Heineccius. Elle dut en être plus peinée que d’habitude et il me fut plus difficile que jamais de garder cette froide contenance. À souper, je ne désarmai pas et je lui jetai à peine un regard ; le repas ne fut pas plus tôt achevé que je repris mon jurisconsulte avec la même ardeur apparente et encore moins d’attention. Tout en lisant, j’écoutais mon cœur battre comme une horloge. Mes regards, à la dérobée, par moments, quittaient mon livre pour se porter sur Catriona ; elle était assise sur le bord de ma grande malle. Le feu l’éclairait d’une façon intermittente, ce qui donnait à son visage de jolies teintes tantôt claires, tantôt sombres. Parfois, elle jetait les yeux sur moi ; alors, je me sentais saisi de terreur, et je tournais les pages de mon Heineccius comme un homme qui cherche le texte du sermon à l’église.