Page:Stevenson - Catriona.djvu/303

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nuit vint, et quand je rentrai dans mon logement tout était sombre. J’allumai une bougie et je passai la revue des chambres : dans la première, il ne restait rien qui pût éveiller le souvenir des absents ; mais, dans la seconde, j’aperçus un paquet dans un coin, ce qui me fit monter les larmes aux yeux. Elle avait laissé tout ce que je lui avais donné ! Ce fut le trait qui me causa le plus de peine peut-être, parce qu’il était le dernier. Je me jetai sur ce tas de vêtements, et mon chagrin n’eut plus de bornes. Au milieu de la nuit, je revins à moi et je me mis à réfléchir. La vue de ces pauvres jupes, de ces rubans m’empêchait de reprendre mon sang-froid, je sentis que je devais m’en défaire avant le retour du soleil. Ma première pensée fut de les brûler, mais cela me parut cruel. Il y avait un placard dans la chambre ; lentement, je pliai chaque objet, tout en l’arrosant de mes larmes. Quand j’arrivai à un fichu que je lui avais vu souvent, je remarquai qu’elle en avait coupé un des coins ; il était d’une jolie nuance, et une fois qu’elle l’avait mis à son cou, je lui avais dit en plaisantant qu’elle portait mes couleurs. Cette découverte me rendit un rayon d’espoir, mais un instant après, mon désespoir reprit de plus belle, car je découvris à l’autre bout de la chambre le coin manquant au fichu. Je n’eus pas de peine à reconstituer la scène. Elle l’avait coupé dans un retour de tendresse pour l’emporter en souvenir de notre amitié ; puis, cédant sans doute à la colère, elle l’avait rejeté loin d’elle. Peu à peu, je me complus à penser plutôt au premier mouvement qu’au second, et je me sentis heureux qu’elle eût eu l’idée de garder ce chiffon, quoique triste de ce qu’elle l’eût rejeté.