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la part d’un père, la vieille miss Grant comme les autres. Quant à moi, connaissant la poésie à laquelle il faisait allusion, je sentis la rougeur monter à mes joues et je restai abasourdi de les voir rire tout en prenant de petits airs scandalisés.

Prestongrange profita de cet accès d’hilarité pour disparaître et je restai là comme un poisson hors de l’eau dans cette société si nouvelle pour moi. Je me rendis compte par la suite que j’étais alors terriblement rustre et je reconnais que ces demoiselles devaient être bien stylées pour avoir eu tant de patience avec moi. La tante, il est vrai, s’était remise à sa broderie et se contentait de jeter de temps en temps un regard sur nous en souriant, mais les jeunes filles et surtout l’aînée, qui était d’ailleurs la plus belle, me firent toutes les politesses possibles, auxquelles j’étais incapable de répondre. J’avais beau me dire que j’étais un jeune homme riche et bien né, que ma timidité n’avait pas de raison d’être devant ces fillettes dont la plus âgée n’était pas plus âgée que moi, et dont pas une n’était probablement aussi instruite. Mais le raisonnement n’y faisait rien et je rougissais en pensant que j’avais été rasé le matin pour la première fois.

La conversation traînait malgré tous leurs efforts, et, de guerre lasse, l’aînée s’assit à son clavecin et se mit à jouer avec talent, puis à chanter en écossais et en italien ; cela me mit plus à l’aise et me rappela l’air qu’Alan m’avait appris dans le trou où nous étions cachés près de Carriden ; j’eus la hardiesse de le chanter après m’être assuré qu’elles ne le connaissaient pas. À peine l’eus-je fini, qu’elle le chercha sur le clavier et chanta, tout en jouant avec une drôle d’expression et un accent montagnard :

Voyez, j’ai juste saisi l’air,
N’est-ce pas celui que vous avez sifflé ?