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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/100

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On se sépara donc, et nous nous remîmes en route, appuyant un peu à l’est, par une belle nuit douce et obscure, et à travers le même pays accidenté que précédemment.


XX. La fuite dans la bruyère : les rocs

Nous marchions et nous courions alternativement ; et à mesure que le matin approchait, nous marchions moins souvent et courions davantage. Bien que le pays semblât, à première vue, un désert, il s’y trouvait des cabanes et des chaumières habitées. Nous dûmes passer à côté d’au moins vingt d’entre elles, nichées aux lieux les plus secrets des montagnes. En arrivant à l’une de ces maisons, Alan me laissa sur la route et alla lui-même heurter au mur et parler un moment à la fenêtre avec le dormeur qu’il avait réveillé. C’était afin de communiquer les nouvelles ; et la chose était, dans ce pays, si bien considérée comme un devoir, qu’Alan dut faire halte et s’en acquitter au cours même de sa fuite pour la vie ; et chacun s’en acquittait si bien que dans plus de la moitié des logis où il s’adressa, on était déjà au courant du meurtre. Dans les autres, autant que je pus comprendre (car je restais à distance et l’on parlait une langue étrangère), la nouvelle était reçue avec plus de consternation que d’étonnement.

En dépit de notre hâte, le jour pointait, que nous étions encore loin de tout asile. Il nous trouva dans une vallée fantastique, parsemée de rochers, où courait une rivière torrentueuse. Des montagnes farouches l’encaissaient ; il n’y venait ni herbes ni arbres ; et j’ai souvent imaginé, depuis, que cette vallée pouvait bien être celle de Glencoe[29], où eut lieu le massacre au temps du roi Guillaume. Mais quant au détail de notre itinéraire, je l’ignore absolument ; notre chemin suivait tantôt des raccourcis, tantôt de grands détours ; notre allure était précipitée, nous voyagions surtout de nuit ; et les noms de lieux par lesquels on répondait à mes questions étant en gaélique, je les ai oubliés depuis longtemps.

Les premières lueurs du matin, donc, nous découvrirent cet affreux paysage, et je vis le front d’Alan se plisser.

– Ce n’est pas l’endroit qui nous convient, me dit-il. On viendra forcément par ici.

Et il se mit à courir plus vite jusqu’au bord de l’eau, en un point où la rivière était coupée en deux bras par trois rochers. Elle se