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Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/109

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travail que de me lire… Il lui faudrait aller à l’école pendant deux ou trois ans, et possible serions-nous fatigués de l’attendre.

Cette nuit-là donc, Alan emporta sa « croix de feu » et la déposa sur la fenêtre du métayer. Il revint tout soucieux ; car les chiens avaient aboyé et des gens étaient sortis des maisons, et il avait cru entendre un cliquetis d’armes et voir un habit-rouge venir sur l’un des seuils. À tout événement, nous nous tînmes le lendemain sur la lisière du bois et guettâmes, afin, si c’était John Breck qui arrivait, de nous trouver là pour le guider, et si c’étaient des habits-rouges, d’avoir le temps de déguerpir.

Vers midi, un homme apparut, gravissant le flanc pelé de la montagne, en plein soleil, et surveillant en même temps les environs, de dessous sa main en visière. Alan, dès qu’il le vit, siffla ; l’homme se détourna et s’avança quelque peu vers nous ; alors mon ami lança un autre « pîîp ! » et l’homme se rapprocha encore ; et ainsi, de proche en proche, les coups de sifflet le guidèrent jusqu’à nous.

C’était un petit homme haillonneux, hirsute et barbu, d’environ quarante ans, fortement marqué de petite vérole, et l’air à la fois endormi et farouche. Bien que son anglais fût très mauvais et rudimentaire, Alan (suivant sa très noble coutume chaque fois que je me trouvais là) ne lui permit pas d’employer le gaélique. Peut-être ce langage étranger le fit-il paraître plus rustre qu’il ne l’était en effet ; mais je crus voir qu’il avait bien médiocre bonne volonté de nous servir, et que le peu qu’il en avait provenait de la crainte.

Alan prétendait lui faire porter un message à James ; mais le métayer ne voulut pas entendre parler de message. « Il oublier lui », dit-il, de sa voix graillonnante, et, faute d’une lettre, il se laverait les mains de nous.

Je m’attendais à voir Alan pris au dépourvu, car nous n’avions pas de quoi écrire dans ce désert. Mais il était plus inventif que je ne l’imaginais. Il chercha dans les bois tant qu’il eût trouvé une rémige de pigeons de roche, qu’il tailla en guise de plume ; il se fit une manière d’encre en délayant un peu de poudre de sa poire dans quelques gouttes d’eau du torrent ; et déchirant un coin de son brevet militaire de français (qu’il gardait dans sa poche, comme un talisman contre le gibet) il s’assit et écrivit ce qui suit :

Cher Parent,

Veuillez envoyer l’argent par le porteur à l’endroit qu’il sait.

Votre affectionné cousin, À. S.

Et il remit le papier au métayer qui promit de faire toute diligence, et, l’emportant avec lui, redescendit la hauteur.

Il fut trois longs jours parti, mais dans l’après-midi du troisième, vers cinq heures, nous entendîmes sortir du bois un coup de sifflet, auquel Alan répondit, et le métayer remonta le bord du cours d’eau,