Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/17

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sans dentelle. Il les revêtit ; puis, ayant pris une canne dans le buffet, il referma tout à clef. Il allait sortir, quand une idée l’arrêta.

– Je ne puis cependant vous laisser seul dans la maison, dit-il. Il va falloir que je vous enferme…

Le sang me monta au visage.

– Si vous m’enfermez, dis-je, vous m’aurez vu comme ami pour la dernière fois.

Il devint très pâle et se mordit les lèvres.

– Ce n’est pas le moyen, dit-il en considérant rageusement un angle du parquet, ce n’est pas le moyen de gagner mes bonnes grâces, David.

– Monsieur, malgré le respect dû à votre âge et à notre sang commun, je ne fais pas cas de vos bonnes grâces pour un rouge liard. On m’a appris à avoir bonne opinion de moi-même, et seriez-vous dix fois le seul oncle et l’unique famille que j’aie au monde, je n’achèterais pas votre faveur à ce prix.

L’oncle Ebenezer alla à la fenêtre et regarda une minute au-dehors. Je le voyais trembler et se contorsionner, comme un paralytique. Mais quand il se retourna, son visage était souriant.

– Bon, bon, dit-il, nous devons supporter et souffrir. Je ne sortirai pas, et tout sera dit.

– Oncle Ebenezer, répliquai-je, je ne comprends rien à tout ceci. Vous en usez avec moi comme avec un voleur ; vous avez horreur de m’avoir chez vous ; vous me le montrez à chaque mot et à chaque minute ; il est impossible que vous m’aimiez ; et, de mon côté, je vous ai parlé comme je ne croyais pas devoir parler jamais à personne. Pourquoi donc voulez-vous me garder, alors ? Laissez-moi m’en retourner… laissez-moi m’en retourner chez mes amis, chez ceux qui m’aiment !

– Non ! non, non, non ! dit-il très vite. Je vous aime beaucoup ; nous nous entendrons très fort bien ; et, pour l’honneur de la maison, je ne puis vous laisser retourner sur vos pas. Restez tranquillement ici, comme un brave enfant ; restez tranquillement ici, encore un peu, et vous verrez que nous nous entendrons.

– Bien monsieur, dis-je après un instant de réflexion, je resterai. Il est plus juste que je sois aidé par ma famille que par des étrangers ; et si nous ne nous entendons pas, je ferai de mon mieux pour que ce ne soit pas de ma faute.