Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/25

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vous pouvez avoir de me craindre, de me berner, et d’attenter à ma vie… ?

Il bafouilla qu’il s’agissait d’une plaisanterie, et qu’il aimait beaucoup les farces ; mais, voyant que je souriais, il prit un autre ton, et me jura qu’il s’expliquerait sitôt après le déjeuner. Je lisais sur son visage qu’il n’avait pas de mensonge tout prêt, mais qu’il était à l’œuvre pour en forger un ; et j’allais, je crois, le lui dire, lorsque nous fûmes interrompus par des coups frappés à la porte.

J’ordonnai à mon oncle de rester assis ; j’allai ouvrir, et je vis sur le seuil un jeune garçon, presque un enfant, vêtu en matelot. À mon apparition, il se mit aussitôt à danser quelques pas d’un air de cornemuse (que je n’avais jamais entendu, ni vu), claquant des doigts en mesure, et d’un pied très expert. Cependant, il était bleu de froid ; et il avait sur le visage une expression à mi-chemin des larmes et du rire, qui s’accordait mal avec cette apparente gaieté, et qui me toucha fort.

– Ce qu’on s’amuse, camarade ! s’écria-t-il, d’une voix éraillée.

Je lui demandai avec calme ce qui l’amusait tant.

– Oh ! je m’amuse ! dit-il ; et il se mit à chanter :

Car c’est mon délice, qu’une belle nuit,

Au beau temps de l’année.

– Ma foi, dis-je, si vous n’avez pas d’autre commission, je vais avoir l’incivilité de vous fermer la porte au nez.

– Halte ! frère ! s’écria-t-il. Vous ne savez donc pas rire, ou tenez-vous à ce que je reçoive une rossée ! J’apporte une lettre du vieil Heasy-Oasy à M. Belflower[8]. (Il me montra la lettre tout en parlant.) Et j’ajoute, camarade, que j’ai cruellement faim.

– Eh bien ! dis-je, entrez dans la maison ; et je vous donnerai un morceau, dussé-je me passer de manger.

Je l’introduisis et le fis asseoir à ma place où il attaqua avidement les restes de notre déjeuner, tout en me lançant des clins d’œil et me faisant des tas de grimaces, attitude que le pauvre être considérait sans doute comme virile. Cependant, mon oncle avait lu la lettre et réfléchissait ; soudain, il se leva d’un air plein de vivacité, et me tira à part dans le coin le plus reculé de la pièce.

– Lisez cela, dit-il en me remettant la lettre.

La voici, étalée devant moi, et je la copie :

Auberge de Hawes, à Queensferry.

Monsieur,

Je suis ici à l’ancre prêt à larguer mes amarres, et vous envoie mon mousse pour vous en aviser. Si vous avez quelque autre commission pour les pays d’outre-mer, c’est aujourd’hui qu’il faut vous décider, car le vent nous est propice pour sortir du firth. Je ne vous cacherai pa