Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/29

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Je répétai ma phrase.

– Bon, bon, dit-il, nous en passerons par vos volontés. Mais pourquoi rester ici ? Il fait un froid mortel ; et si je ne m’abuse, le Covenant va bientôt prendre la mer.


VI. Ce qui advint à Queensferry


Dès que nous fûmes arrivés à l’auberge, Ransome nous fit monter à une petite chambre contenant un lit et chauffée comme un four par un grand feu de houille. À une table proche de la cheminée, un homme de haute taille, basané, l’air sérieux, était assis à écrire. En dépit de la chaleur de la pièce, il portait une lourde vareuse de mer boutonnée jusqu’au col, et un gros bonnet de fourrure enfoncé jusqu’aux oreilles ; et cependant je n’ai jamais vu personne, même un juge au tribunal, avoir l’air plus à son aise, ou plus attentif et maître de soi, que ce capitaine marin.

Il se leva tout de suite, et, s’avançant vers Ebenezer, lui tendit sa large main.

– Je suis honoré de vous voir, monsieur Balfour, dit-il, d’une belle voix de basse, et heureux que vous arriviez à temps. La brise est bonne, et la marée va tourner ; avant ce soir nous apercevrons le vieux réchaud à charbon[12] qui brûle sur l’île de May.

– Capitaine Hoseason, répliqua mon oncle, vous faites trop grand feu dans votre chambre.

– C’est une habitude que j’ai, monsieur Balfour. J’ai froid par tempérament ; je suis à sang froid, monsieur. Il n’y a pas de fourrure ni de flanelle – non, monsieur, et pas de rhum bouillant, capable de réchauffer ce qu’on appelle ma température. Il en va de même, monsieur, pour la plupart des gens qui ont été carbonisés[13], comme on dit, dans les mers tropicales.

– Bon, bon, répliqua mon oncle, nous sommes tous comme on nous a faits.

Mais il se trouva que cette fantaisie du capitaine joua un grand rôle dans mes malheurs. Car j’avais eu beau me promettre de ne pas perdre de vue mon parent, mon impatience de voir de plus près la mer était telle, et cette pièce étouffante m’incommodait tellement, qu’à peine m’eut-il dit de « descendre jouer une minute », je fus assez naïf pour le prendre au mot.