Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/32

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vous déposera au môle de la ville, à un jet de pierre à peine de chez Rankeillor. (Et alors, se baissant soudain, il me glissa dans l’oreille :) Méfiez-vous du vieux renard : il vous veut du mal. Venez à bord, et là je vous parlerai. (Puis, passant son bras sous le mien, il poursuivit à voix haute, en m’entraînant vers le canot :) Mais, dites-moi, que je puis-je vous rapporter des Carolines ? Un ami de M. Balfour n’a qu’à parler. Un rouleau de tabac ? Une parure de plumes indienne ? Une peau de bête fauve ? Une pipe en pierre ? L’oiseau-moqueur qui miaule absolument comme un chat ? L’oiseau-cardinal, qui est rouge comme sang ? Faites votre choix et dites ce qui vous plaît.

Nous étions arrivés au canot, où il me fit entrer. Je ne songeai pas à résister ; je croyais (pauvre fou) avoir découvert un bon ami et un auxiliaire, et j’étais heureux de voir le navire. Sitôt que chacun fut installé, le canot déborda et se mit en marche sur les eaux ; et je pris tant de plaisir à ce mode inédit de locomotion, j’étais si étonné en voyant, de notre position relativement basse, la côte s’éloigner et le brick grandir à mesure que nous en approchions, que je ne comprenais rien à ce que disait le capitaine, et que je dus lui répondre tout de travers.

Dès que nous fûmes rangés le long du bord (je restais ébahi de l’élévation du navire, du fort murmure que faisait la marée contre ses flancs, et des cris joyeux des matelots au travail), Hoseason, affirmant que lui et moi devions monter à bord les premiers, donna l’ordre d’envoyer un palan de la grand-vergue. Cet engin m’éleva en l’air et me déposa sur le pont, où le capitaine, déjà prêt à me recevoir, renfonça aussitôt son bras sous le mien. Je m’arrêtai une minute, un peu étourdi par l’instabilité de tout ce qui m’entourait, peut-être un peu effrayé, mais toutefois fort amusé par la nouveauté du spectacle. Cependant, le capitaine me désignait les apparaux les plus curieux et m’en disait les noms et l’usage.

– Mais où est mon oncle ? fis-je soudain.

– Aïe, répondit Hoseason, voilà le hic !

Je me sentis perdu. D’un effort désespéré je me dégageai de lui et courus aux bastingages. Là-bas, le canot ramait vers la ville, avec mon oncle assis à l’arrière. Je poussai un cri perçant : « Au secours ! au secours ! à l’assassin ! » à faire retentir les deux rives du mouillage, et mon oncle se retourna sur son banc, et me montra une face pleine de cruauté et de terreur.

Je n’en vis pas davantage. Déjà des mains vigoureuses m’arrachaient des lisses du navire ; puis je me crus frappé par la foudre ; je vis un grand éclair de feu, et tombai sans connaissance.