Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/44

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vaisseau français en train de croiser par ici afin de m’emmener ; mais nous l’avons perdu dans le brouillard… comme je souhaiterais de tout cœur que vous eussiez fait vous-même ! Et voici tout ce que je puis dire : Si vous voulez me mettre à terre là où je me rendais, j’ai sur moi le nécessaire pour vous récompenser largement de votre peine.

– En France ? dit le capitaine. Non, monsieur, cela je ne le puis. Mais là d’où vous venez… nous pourrions en causer.

Et alors, par malheur, il m’aperçut dans mon coin, et m’envoya à la cambuse chercher le souper du gentilhomme. Je ne perdis pas de temps, je vous assure. Quand je fus de retour dans la dunette, le gentilhomme avait retiré d’autour de sa taille une ceinture pleine d’espèces, et versé quelques guinées sur la table. Le capitaine regardait tour à tour les guinées, la ceinture, et le visage du gentilhomme ; il me parut fort intéressé.

– Moitié de cela, s’écria-t-il, et je suis votre homme !

L’autre rafla les guinées dans la ceinture, qu’il rajusta sous son gilet.

– Je vous ai expliqué, monsieur, dit-il, que pas un liard de cet or ne m’appartient. Il appartient à mon chef – (il porta la main à son chapeau) – mais tandis que je serais seulement un fidèle messager, d’en sacrifier une partie afin de sauver le reste, j’agirais comme un misérable si je rachetais ma carcasse trop cher. Trente guinées sur la côte, ou soixante, si vous me déposez dans le loch Lynnhe. Voyez si cela vous va ; sinon, tant pis pour vous.

– Très bien, dit Hoseason. Et si je vous livre aux soldats ?

– Vous feriez un marché de dupe, dit l’autre. Mon chef, laissez-moi vous le dire, monsieur, est confisqué, comme tout honnête homme en Écosse. Ses biens sont entre les mains de celui qu’on appelle le roi George, dont les fonctionnaires recueillent le produit, ou du moins essaient. Mais pour l’honneur de l’Écosse, les pauvres tenanciers n’oublient pas leur chef exilé ; et cet argent qu’ils lui envoient fait partie de ces mêmes revenus que convoite le roi George. Or, monsieur, vous me semblez comprendre les choses : mettez cet argent à la portée du gouvernement, et qu’est-ce qui vous en reviendra ?

– Bien peu, à coup sûr, dit Hoseason ; puis : – S’il le savait, ajouta-t-il froidement. Mais je suppose, le cas échéant, que je saurais tenir ma langue.

– Oui, mais je vous garde un tour ! s’écria le gentilhomme. Trahissez-moi, et je vous rends la pareille. Que l’on mette la main sur moi, et je révèle la somme.

– Allons, dit le capitaine, il faut ce qu’il faut. Soixante guinées, et tope. Voilà ma main.

– Et voici la mienne, dit l’autre.

Et là-dessus, le capitaine sortit (un peu précipitamment, à mon avis) et me laissa seul dans la dunette avec l’étranger.

À cette époque (peu après 45) un grand nombre de gentilshommes exilés revenaient, au péril de leur vie, soit pour voir leurs amis, soit pour trouver de l’argent, et quant aux chefs highlanders dont les biens