Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/49

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– David, fit-il, je m’en souviendrai.

Et le son de sa voix me fit passer un frisson par tous les membres.

Un instant après il avait disparu.

– Et maintenant, dit Alan, faites bien attention, car on va en venir aux mains.

Alain tira son dirk, qu’il tint de la main gauche, pour le cas où l’on passerait sous son épée. De mon côté, je grimpai sur la couchette avec une paire de pistolets, et, le cœur serré, ouvris la fenêtre que je devais surveiller. Je ne découvrais qu’une petite partie du pont, mais cela suffisait à nos besoins. La mer avait calmi, la brise était constante et gonflait paisiblement les voiles ; et il régnait sur le navire un grand silence, qui me permit d’entendre un murmure de voix. Peu après, un cliquetis d’acier retentit sur le pont, et je compris que l’on distribuait les coutelas, et que l’un d’eux était tombé ; ensuite, le silence à nouveau.

Je ne sais si j’avais réellement peur ; mais mon cœur battait comme celui d’un oiseau, à petits coups précipités ; et mes yeux étaient si troublés que je les frottais continuellement, sans arriver à les éclaircir. D’espoir, je n’en avais aucun ; mais au contraire une sorte de rage désespérée à l’égard du monde entier, qui me faisait aspirer à vendre ma vie le plus chèrement possible. Je voulus prier, je m’en souviens, mais cette sorte de précipitation qui emportait mon esprit, comme si j’avais couru, m’empêchait de trouver les mots ; et je me bornai à souhaiter que l’affaire s’engageât et que tout fût fini.

Elle commença soudain par une ruée de pas et de hurlements, puis une exclamation d’Alan, un bruit de lutte, et quelqu’un poussa un cri comme s’il était blessé. Je regardai par-dessus mon épaule, et vis M. Shuan dans le cadre de la porte, croisant l’épée avec Alan.

– C’est lui qui a tué le mousse ! m’écriai-je.

– Occupez-vous de votre fenêtre ! dit Alan ; mais avant de reprendre son poste, je le vis passer son épée à travers le corps du second.

Ce ne fut pas trop tôt que je regardai de mon côté ; car j’avais à peine la tête à la fenêtre, que cinq hommes, portant une vergue de rechange en guise de bélier, passèrent devant moi et prirent position devant la porte, pour l’enfoncer. De ma vie, je n’avais encore tiré un coup de pistolet, et rarement un coup de fusil ; pas, en tout cas, sur mes semblables. Mais il le fallait ; et juste comme ils balançaient la vergue, je m’écriai : « Attrapez ! » et tirai dans le tas.

Je dus en blesser un, qui poussa un cri et recula d’un pas, tandis que les autres s’arrêtaient, un peu décontenancés. Ils n’avaient pas eu le temps de se remettre, que j’envoyais encore une balle par-dessus leurs têtes ; et à mon troisième coup (aussi peu efficace que le second) toute la bande laissa choir la vergue et s’encourut.

Alors, j’inspectai de nouveau l’intérieur de la dunette. Elle était remplie de fumée, grâce à mes coups de pistolet, dont j’avais encore les oreilles assourdies. J’aperçus Alan, toujours debout ; mais à présent son épée ruisselait de sang jusqu’à la garde ; et lui-même était si gonflé de son triomphe et campé dans une si fière attitude qu’il avait l’air