Page:Stevenson - Enlevé (trad. Varlet), 1932.djvu/54

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de ses armées ; et j’avoue que, malgré mon admiration pour sa vaillance, je courais sans cesse le danger de sourire de sa vanité ; je dis le danger, car si je ne m’étais retenu, je n’ose penser à la querelle qui en serait résultée.

Sitôt notre repas terminé, il fouilla dans l’armoire du capitaine pour trouver une brosse ; puis, ayant retiré son habit, il l’examina et en brossa les taches, avec une attention et une patience que je croyais réservées aux femmes. Sans nul doute, il n’en avait pas d’autre, et de plus (comme il le disait) cet habit appartenant à un roi, il convenait de le soigner royalement.

Du reste, quand je l’eus vu éplucher méticuleusement les brins de fil restés à la place du bouton coupé, je compris mieux toute la valeur de son cadeau.

Il n’avait pas fini, que M. Riach nous héla du pont. Il demandait à parlementer. Me hissant à travers le vasistas et m’asseyant sur le rebord, pistolet au poing, et le front haut, quoique en moi-même je craignisse les éclats de verre, je le hélai à mon tour et lui enjoignis de parler. Il s’avança jusqu’au coin de la dunette, et monta sur un rouleau de corde, afin d’avoir le menton au niveau du toit. Nous nous regardâmes une minute sans rien dire. M. Riach n’avait pas dû se mettre trop en avant au cours de la lutte, car il s’en était tiré avec une éraflure à la joue ; mais il avait l’air découragé et très las d’avoir passé toute la nuit sur pied, tant pour faire son quart que pour soigner les blessés.

– Quelle vilaine histoire ! dit-il enfin, hochant la tête.

– Ce n’est pas nous qui avons commencé.

– Le capitaine désire parler à votre ami. Ils pourraient causer par la fenêtre.

– Et comment savoir quelle trahison il nous réserve ?

– Aucune, David, répliqua M. Riach, et quand bien même il en aurait l’intention, je vous l’avoue carrément, les hommes refuseraient de le suivre.

– Vous en êtes-là ?

– Je vous en dirai davantage. Il n’y a pas que les hommes. Moi aussi, j’ai peur, David. – (Et il m’adressa un sourire.) – Non, poursuivit-il, tout ce que nous demandons est qu’on nous laisse tranquilles.

Je conférai avec Alan, la trêve fut accordée, et engagement pris de chaque côté ; mais ce n’était pas assez pour M. Riach, car il me pria de lui donner une goutte, si instamment et me rappelant si bien ses bontés passées, que je finis par lui tendre un gobelet contenant deux doigts de brandy. Il en but une moitié, et emporta le reste à l’autre bout du pont afin, je suppose, de partager avec son supérieur.

Peu après, le capitaine s’en vint (comme il était convenu) à l’une des fenêtres, et y resta sous la pluie, le bras en écharpe, la mine pâle et défaite, et l’air si vieux que je regrettai d’avoir tiré sur lui.

Alan lui porta un pistolet à la figure.

– Retirez donc ça ! dit le capitaine. N’avez-vous pas ma parole, monsieur, ou est-ce pour me braver ?