Page:Stevenson - L'Île au trésor, trad. Savine-Lieutaud.djvu/10

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c’est une consolation pour moi de me rappeler que ces rames ne sont plus que cendres rendues à la terre.

Je n’ai nommé que quelques-uns de mes essais malheureux, ceux seulement qui arrivèrent à un renom passable avant qu’ils fussent oubliés ; et même ainsi, ils couvrent une longue série d’années.

Rathillet fut lancé avant mes quinze ans, La Vendetta quand j’en avais vingt-neuf ; ce fut une suite de défaites qui se succédèrent sans relâche, jusqu’à ce que j’en eusse trente et un.

J’avais écrit jusqu’alors de petits livres, de modestes essais et de courtes histoires ; j’avais encaissé des coups et été payé pour mes travaux, pas assez toutefois pour me permettre de vivre de ma plume.

J’avais presque une réputation, j’étais un homme à succès ; j’avais passé mes jours à m’échiner, et l’inanité de mon effort faisait quelquefois brûler mes joues de honte.

Je dépensais toute l’énergie d’un homme à cette besogne ; encore ne pouvais-je gagner ma subsistance et un idéal non atteint brillait devant moi.

Bien que je m’y fusse essayé avec vigueur au moins dix ou douze fois, je n’avais pas encore écrit de roman.

Mes précieux ouvrages avaient tous débuté avec un certain élan, puis s’étaient inexorablement arrêtés comme la montre d’un écolier.

Je pouvais être comparé à un cricketer jouant depuis plusieurs années et qui n’aurait jamais fait un but.

Chacun peut écrire une nouvelle courte — une mauvaise, je pense — s’il a du métier, du papier et assez de temps disponible, mais nul ne peut par la seule volonté écrire un roman, même mauvais.

C’est la longueur qui tue.

Le romancier routiné peut tourner et retourner sa prose,

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