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peiner en vain des jours sur son livre, et n’écrire que pour se fourvoyer.

Il n’en est pas ainsi du débutant.

La nature humaine a certains droits.

L’instinct de conservation empêche un homme qui n’est pas soutenu par la conscience d’une victoire antérieure, d’endurer les misères d’un travail littéraire peu apprécié au delà d’une période qui se mesure en semaines.

Il faut que quelque chose l’alimente d’espérance.

Le débutant doit avoir du souffle.

Une veine de chance doit l’encourager ; il doit être dans un de ces moments où les mots viennent et les phrases s’ordonnent d’elles-mêmes, même au début.

Et même quand il s’est mis en train, de quels regards terrifiés considère-t-il le chemin qui lui reste à parcourir jusqu’à ce que le livre soit terminé !

Car tant qu’ invariablement la brise souffle, tant que la veine continue à le conduire, il pourra conserver ses mêmes qualités de style, ses marionnettes seront toujours vivantes, toujours fortes, toujours vigoureuses !

Je me souviens avoir considéré, en ce temps-là, tout roman en trois volumes avec une sorte de vénération, comme une prouesse, non pas, s’entend, littéraire, mais au moins d’endurance physique et morale digne du courage d’Ajax. En cette heureuse année, je vins vivre avec mon père et ma mère à Kinnaird, au-dessus de Pitlochry.

Je foulai alors les rouges bruyères et escaladai les bois dorés.

L’air rude et pur de nos montagnes m’excitant, s’il ne m’inspirait pas, nous fîmes le projet, ma femme et moi, d’un volume de récits de fantômes, pour lequel elle écrivit L’Ombre sur le Lit ; je fabriquai pour ma part Thrawn Janet et une

première ébauche de Les Hommes joyeux.

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