Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/100

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Il commença par nous diviser en deux bordées : le docteur, Gray et moi dans l’une ; le squire, Hunter et Joyce dans l’autre. Après quoi, en dépit de la lassitude générale, deux hommes furent envoyés, au bois, deux autres occupés à creuser une fosse pour Redruth ; le docteur fut désigné comme cuisinier et je fus mis en sentinelle à la porte. Quant au capitaine, il allait et venait de l’un à l’autre, nous remontant le moral et prêtant la main où il était nécessaire.

De temps en temps le docteur venait à la porte pour respirer et reposer ses yeux, que la fumée aveuglait ; et chaque fois il avait un mot à me dire.

« Le capitaine Smollett vaut encore mieux que moi, fit-il remarquer dans une de ces occasions, et ce n’est pas peu dire, mon petit !…

Une autre fois, il me regarda un instant en silence. Puis penchant la tête d’un côté :

« Ce Ben Gunn est-il un homme ? me demanda-t-il.

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, Monsieur, répondis-je. Mais je ne suis même pas bien sûr qu’il soit en possession de toute sa raison.

— S’il y a seulement doute à cet égard, tant mieux pour lui ! reprit le docteur. Un homme qui a passé trois ans dans une île déserte, à se ronger les ongles, ne saurait paraître aussi raisonnable que toi ou moi, mon garçon. Ce n’est pas dans la nature des choses. Ne m’as-tu pas dit qu’il a grande envie de manger du fromage ?

— Oui, monsieur, c’est son plus ardent désir.

— Eh bien, Jim, vois comme il est bon de penser à tout. Tu m’as souvent vu une tabatière. Et sais-tu pourquoi ? Parce qu’en campagne j’emporte toujours dans ma tabatière un morceau de fromage de Parme, — un fromage italien extraordinairement nourrissant sous un faible volume… Mon fromage sera pour Ben Gunn !… »

Avant de souper, nous eûmes à procéder aux funérailles de notre pauvre vieux Tom. Après l’avoir déposé dans la fosse, nous le recouvrîmes de sable, puis nous restâmes quelques instants, la tête découverte, autour de sa tombe.

Nous nous occupâmes ensuite de rentrer le bois sec rapporté des alentours de la palissade. Le capitaine hocha la tête quand il le vit en tas.

« La provision n’est pas suffisante et il faudra s’occuper de l’augmenter demain matin, » dit-il.

Le souper terminé, — il se composait d’une tranche de porc salé et d’un verre de grog à l’eau-de-vie —, les trois chefs se réunirent dans un coin pour se concerter sur les mesures à prendre.

Ce qui les inquiétait le plus, c’était que nos provisions fussent tout à fait insuffisantes pour nous permettre de soutenir un long