Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/113

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Tout en lavant à grande eau le plancher de la salle, d’abord, puis la vaisselle du dîner, je laissais insensiblement ces pensées s’emparer de mon imagination ; elles finirent par la dominer entièrement. Enfin, à un certain moment, me trouvant près d’un sac de biscuits et remarquant que personne ne faisait attention à moi, je fis le premier pas dans la voie d’une escapade, en commençant par remplir mes poches de biscuit.

C’était insensé, si l’on veut. Assurément, j’allais m’engager dans une entreprise des plus téméraires. Mais j’étais au moins décidé à m’entourer de toutes les précautions possibles ; et je calculais que — quoi qu’il arrivât — ces biscuits m’empêcheraient toujours de mourir de faim pendant vingt-quatre heures.

Le second pas fut de m’emparer d’une paire de pistolets que je cachai sous ma jaquette avec ma poire à poudre et un petit sac de balles.

Quant au plan que j’avais en tête, il n’était pas en lui-même des plus mauvais. Il s’agissait de descendre vers le banc de sable qui séparait le mouillage de la pleine mer à l’Est, de retrouver la Roche-Blanche que j’avais observée la veille et de m’assurer si le bateau dont m’avait parlé Ben Gunn y était caché ou non. La vérification du fait avait assurément son importance, je le crois encore à l’heure qu’il est. Seulement, comme j’étais certain qu’on ne me permettrait pas de quitter le blockhaus, je résolus de partir sans tambour ni trompette et de m’échapper quand personne ne me verrait. C’est là ce qui rendit ma tentative coupable. Mais je n’étais qu’un enfant et je ne sus pas résister à la tentation.

Saisissant donc un moment où le squire et Gray étaient occupés à renouveler le pansement du capitaine, — je me glissai jusqu’à la palissade, je la franchis, et j’avais détalé dans les bois avant que mon absence eût seulement été remarquée.

C’était ma seconde équipée, plus imprudente encore que la première ; car je ne laissais que deux hommes valides pour défendre le fort. Et, comme celle-là pourtant, elle devait servir à notre salut.

Je me dirigeai tout droit vers la côte orientale, car j’avais décidé de longer la langue de terre en question du côté du large, pour éviter d’être aperçu par les pirates. L’après-midi était déjà très avancée, mais le soleil n’avait pas encore disparu à l’horizon et la chaleur était accablante. Tout en marchant dans les bois, j’entendais le grondement lointain des brisants, et en même temps l’agitation des feuilles et des hautes branches me montrait que la brise de mer était assez forte. Bientôt l’air devint plus vif et plus frais. Encore quelques pas et je débouchais sur la lisière du fourré. Au loin, la mer bleue s’étendait jusqu’à l’horizon. Presque à mes pieds, les flots venaient rouler en écumant sur la grève ; car jamais ils