Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/144

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— J’en ai assez d’être embêté ! reprit un autre. Je veux être pendu si je me laisse faire plus longtemps la loi !…

— Est-ce qu’un de ces messieurs éprouve le besoin d’avoir affaire à moi ? demanda John Silver en se redressant sur son tonneau, la pipe à la main. Qu’il le dise !… mais qu’il le dise donc !… Vous n’êtes pas muets, que je sache ! Son compte sera bientôt réglé… Il n’a qu’à parler…

Pas un homme ne bougea. Personne ne dit mot. Silver remit sa pipe entre ses dents.

« Les voilà, mes héros ! reprit-il. Ah ! vous êtes encore de jolis merles ! Il paraît que cela ne vous dit pas, de vous aligner avec John Silver !… Mais peut-être comprendrez-vous ce que parler veut dire. Je suis le capitaine, ici, parce que j’en vaux vingt comme chacun de vous… Et sacrebleu, puisque vous ne savez pas vous battre comme des chevaliers de fortune, quand on vous offre de dégainer, je fais mon affaire de vous forcer à obéir, vous pouvez y compter !… Pour commencer, vous allez laisser cet enfant tranquille. C’est un brave garçon, plus brave qu’aucun de vous, vieux rats que vous êtes !… Qu’on ose lever la main sur lui, et nous rirons, je le jure ! »

Il y eut un long silence. J’étais toujours debout contre le mur, mon cœur battait lourdement comme un marteau sur une enclume, mais repris d’un vague espoir. Silver, les bras croisés, la pipe au coin des lèvres, semblait absorbé dans ses réflexions, mais ne perdait de vue aucun des mouvements de la bande indisciplinée. Peu à peu les hommes s’écartaient au fond de la salle ; ils chuchotaient, et le sifflement de leurs paroles m’arrivait comme dans un rêve. Je crus comprendre pourtant qu’il n’était plus question de moi, car, à la lueur rouge de la torche, je les voyais l’un après l’autre tourner leurs regards vers Silver.

« Vous semblez avoir beaucoup à dire, remarqua celui-ci en crachant devant lui. Voyons un peu ce que c’est ; je vous écoute.

— Faites excuse, capitaine, répondit un des hommes ; mais vous en prenez à l’aise avec le règlement… Cet équipage est mécontent… Cet équipage n’aime pas être traité comme un tas de vieux fauberts… Cet équipage a ses droits comme tout autre équipage, si j’ose ainsi dire… D’après les règles que vous avez établies vous-même, nous avons le droit de nous concerter librement et de tenir conseil… C’est ce que nous allons faire, en sortant à cet effet, capitaine, sauf votre respect. »

En finissant ce discours, l’orateur salua John Silver avec un singulier mélange d’humilité et de bravade, puis il quitta la salle. Les autres suivirent. Et tous, en passant devant leur capitaine, ils le saluaient de quelques excuses :

« Selon le règlement, disait l’un.