Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/177

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voile, deux ou trois brasses de corde, et enfin — sur le désir expressément formulé par le docteur — un beau présent de tabac.

Ce fut le dernier acte de notre séjour dans l’île. Le trésor était embarqué, nous avions pris de l’eau et la quantité de viande salée que nous jugions nécessaire à nos besoins. Un beau matin, nous levâmes l’ancre, non sans peine, car nous n’étions que trois au cabestan, et nous sortîmes de la baie du Nord, avec le même pavillon flottant à notre corne que le capitaine avait arboré sur le blockhaus.

Les trois proscrits nous avaient observés de plus près que nous ne pensions, comme ils le prouvèrent bientôt, car, en sortant de la passe, nous eûmes à ranger de très près la pointe sud, et, comme nous la longions, nous les vîmes tous trois à genoux sur le sable, les bras tendus vers nous d’un air suppliant.

Cela nous faisait mal de les abandonner ainsi dans cet état lamentable. Mais nous ne pouvions pas courir le risque d’une seconde révolte, et les ramener en Angleterre pour y être pendus semblait une assez pauvre faveur. Le docteur les héla donc et leur dit que nous leur avions laissé des provisions, en leur indiquant l’emplacement de la caverne. Mais ils n’en continuèrent pas moins à nous appeler chacun par notre nom, en nous suppliant, pour l’amour de Dieu, d’avoir pitié d’eux et de ne pas les condamner à périr dans cet affreux désert.

Enfin, voyant que le schooner poursuivait sa route, l’un d’eux, je ne sais lequel, sauta vivement sur ses pieds en poussant un cri rauque, épaula son fusil et nous envoya une balle, qui siffla sur la tête de Silver pour aller se perdre dans la grande voile.

Dès lors nous eûmes soin de nous abriter derrière les bastingages. Quand je relevai la tête pour regarder, ils avaient disparu sur le promontoire, et le promontoire même s’effaçait au loin. Vers midi, nous avions perdu de vue le pic le plus élevé de l’Île au Trésor.

Nous nous trouvions si peu nombreux à bord, que tout le monde était obligé de mettre la main à la pâte. Le capitaine seul restait couché à l’arrière sur un matelas, pour donner ses ordres. Il entrait en convalescence, mais avait encore besoin de soins et de repos. Nous ne pouvions entreprendre de revenir à Bristol sans un nouvel équipage. Aussi nous dirigeâmes-nous d’abord vers la côte la plus voisine, dans l’Amérique du Sud ; et bien longtemps avant d’y arriver, nous avions été tous mis sur les dents par deux tempêtes suivies de vents contraires. Mais enfin le port se montra devant nous. Le soleil allait se coucher quand nous jetâmes l’ancre dans une charmante baie, pour nous voir bientôt entourés de canots chargés de nègres, de mulâtres et d’indiens, qui nous offraient des