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LE COFFRE DU CAPITAINE.

n’oublierai jamais le plaisir que me causa la vue de ces portes et fenêtres éclairées. À ce réconfort devait d’ailleurs se limiter tout le secours que nous devions y trouver. Personne ne voulut consentir à venir avec nous à l’Amiral-Benbow. Les hommes, au moins, auraient pu rougir de se montrer si pusillanimes. Plus nous insistions sur nos craintes, plus ils s’accrochaient tous, hommes, femmes et enfants, à l’abri tutélaire de leurs maisons. Le nom du capitaine Flint, qui m’était inconnu quand je l’avais entendu prononcer par notre défunt locataire, n’était que trop familier par là et portait la terreur avec lui. Quelques paysans, qui avaient travaillé aux champs de l’autre côté de l’auberge, déclaraient avoir remarqué sur la route des étrangers qu’ils avaient pris pour des contrebandiers, et s’être hâtés de décamper, dans le but de n’être pas impliqués dans l’affaire. L’un d’eux assurait avoir vu un petit cotre à l’ancre dans une crique que nous appelions le Trou-de-Kitt. Du reste, n’importe qui s’intitulait le camarade du feu Capitaine devenait par cela même suspect. Bref, les volontaires s’offraient en foule pour s’en aller à cheval prévenir le docteur Livesey, dans la direction opposée à l’Amiral-Benbow, mais pas un ne consentait à venir avec nous défendre l’auberge.

On dit que la lâcheté est contagieuse. Mais, d’autre part, la discussion relève souvent les courages. C’est précisément ce qui arriva à ma mère. Quand chacun eut donné son avis, elle prit la parole. Rien ne pouvait l’empêcher, disait-elle, de tenter un effort pour sauver l’argent qui appartenait à son fils orphelin.

« Si nul de vous n’ose venir à notre aide, dit-elle, Jim et moi nous irons tout seuls. Oui, nous retournerons chez nous, comme nous sommes venus, et nous nous passerons de vous, poules mouillées que vous êtes !… Nous ouvrirons le coffre, dussions-nous payer ce devoir de notre vie. Tout ce que je vous demande, mistress Crowley, c’est de nous prêter le sac que je vois là, pour emporter l’argent qui nous appartient légitimement. »

Je déclarai, bien entendu, que j’étais prêt à escorter ma mère et, bien entendu aussi, on poussa les hauts cris sur notre témérité. Mais n’empêche que pas un seul homme n’eut le courage de partir avec nous. On consentit seulement à me prêter un pistolet chargé, en cas d’attaque, et l’on promit de nous tenir des chevaux tout sellés, pour notre retour, en cas de poursuite. En outre, il fût convenu qu’un gars serait immédiatement envoyé au docteur Livesey pour demander l’appui de la force armée.

Je puis dire que le cœur me battait de belle manière quand nous partîmes tous les deux dans la nuit noire, maman et moi, en cette périlleuse aventure. La lune, qui se trouvait dans son plein, se levait à peine et commençait à montrer un bord rougeâtre au-dessus du brouillard. Raison de plus de nous hâter, car il était évident qu’il