Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/27

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
LA FIN DE L’AVEUGLE.

derrière nous. Bientôt, nous eûmes la certitude que ces pas étaient ceux d’une troupe d’hommes se dirigeant vers l’auberge et dont l’un portait une lanterne.

« Mon enfant, dit tout à coup ma mère, prends l’argent et sauve-toi !… Je crois que je vais défaillir. »

C’était fini : nous allions être pris !… Ah ! que j’en voulais à nos voisins de leur indigne lâcheté !… Par bonheur, nous touchions presque au petit pont. Tant bien que mal, j’aidai ma mère à marcher jusqu’au bord du fossé. En y arrivant, elle poussa un soupir, et tomba évanouie sur mon épaule. Je ne sais où je trouvai la force nécessaire pour la pousser ou plutôt la traîner jusqu’au fond du fossé, tout contre l’arche du pont. Je ne pouvais faire plus : le pont était trop bas pour me permettre autre chose que de me cacher dessous, mince comme j’étais, en rampant sur les genoux et les mains. Il fallut donc rester là, ma mère presque absolument en vue de la route, et tous deux à portée de voix de l’auberge.


V

LA FIN DE L’AVEUGLE.


Chose étrange en pareille situation : la curiosité fut bientôt chez moi plus forte que la frayeur. Au bout de quelques instants, il me devint impossible de rester en place, et, rampant doucement au bord du fossé, j’allai m’abriter derrière un buisson de genêt, d’où je voyais la route et la porte de l’auberge. J’étais à peine installé dans ce poste d’observation, quand l’avant-garde de l’ennemi se montra : c’étaient sept ou huit hommes qui couraient en désordre, précédés par l’homme à la lanterne. Trois de ces individus allaient ensemble, en se tenant par la main, et bientôt, en dépit du brouillard, je reconnus que, dans ce trio, l’homme du milieu n’était autre que l’aveugle !… Presque aussitôt j’entendis sa voix et m’assurai ainsi que je ne m’étais pas trompé.

« Enfoncez la porte ! criait-il.

— À l’instant !… » répondirent deux ou trois voix.

Il y eut une poussée au seuil de l’Amiral-Benbow. Puis, les assaillants s’arrêtèrent court, et je les entendis se parler en chuchotant, comme s’ils étaient surpris de trouver le passage libre. Mais ce ne fut pas long, car l’aveugle se remit à donner des ordres. Sa voix s’élevait de plus en plus ; il semblait pris d’un accès de rage.

« Entrez donc ! criait-il. Voulez-vous prendre racine ici ?… Qu’attendez-vous maintenant ?… »

Quatre ou cinq des premiers arrivés obéirent à cette injonction ;