Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/42

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On imagine aisément dans quelle excitation me plongea la lecture de cette lettre. Je ne me possédais plus de joie. Quant au vieux Redruth, il ne faisait que grommeler et se lamenter. Je suis bien sûr que tous les autres gardes auraient été ravis de partir à sa place ; mais le squire en avait décidé autrement, et le bon plaisir du squire était la loi. Personne, excepté le vieux Redruth, n’eût seulement osé protester.

Le lendemain dans la matinée, nous partions pour l’Amiral-Benbow, et j’y retrouvais ma mère en bonne santé et belle humeur. Le Capitaine, qui l’avait tant tourmentée, était parti pour le pays où les méchants sont impuissants à mal faire. Le squire avait fait réparer notre maison et repeindre à neuf notre enseigne. Il avait aussi fait apporter quelques meubles, entre autres un beau et bon fauteuil où ma mère trônait dans le comptoir. Il n’est pas jusqu’à un jeune garçon qu’il n’eût trouvé pour me suppléer en qualité d’apprenti. Tout était donc arrangé pour que les choses marchassent à merveille pendant mon absence.

Ce n’est qu’en voyant ce garçon à ma place que je compris véritablement ce que j’allais quitter. J’avais tant rêvé à mes aventures futures que j’avais complètement oublié le cher foyer, qu’il fallait maintenant laisser derrière moi. Mais, ce jour-là, la vue de ce garçon inconnu et maladroit qui tenait ma place auprès de ma mère me fit venir les larmes aux yeux. Je dus mettre ce pauvre enfant au supplice, pendant le temps que je passai chez nous. Comme il n’avait guère l’habitude du service, j’avais cent prétextes pour le réprimander, et je ne me privais pas assez de les saisir.

La nuit se passa, et le lendemain, après dîner, Redruth et moi nous partîmes à pied. Je dis adieu à ma mère, à la baie, au cher vieux Amiral-Benbow, — moins cher peut-être depuis qu’il avait été repeint. Ma dernière pensée fut, je crois, pour le Capitaine. Je l’avais vu si souvent se promener à grandes enjambées sur la plage, avec son tricorne, sa balafre, sa longue-vue sous le bras…

L’instant d’après, nous tournions le coin du chemin et la baie disparaissait à mes yeux.

Dans la soirée nous prîmes sur la route la diligence de Bristol. On me casa sur l’impériale, entre Redruth et un gros monsieur, et, en dépit de l’air frais de la nuit, bercé par le balancement du véhicule, je ne tardai pas à m’assoupir. Je ne me réveillai même pas aux relais, et il fallut, pour me rappeler à la réalité, que Redruth m’allongeât un coup de poing dans les côtes.

En ouvrant les yeux, je m’aperçus alors que nous passions dans une large rue, devant des maisons plus hautes que celles dont j’avais l’habitude, et qu’il faisait grand jour.

« Où sommes-nous ? demandai-je.