Page:Stevenson - L’Île au trésor, trad. André Laurie.djvu/95

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d’affaire plus importante. Cela ne l’empêchait pas de suivre du coin de l’œil l’agonie du pauvre Redruth ; car à peine eut-elle pris fin, qu’il déploya un autre pavillon et l’étendit respectueusement sur le cadavre.

« Ne prenez pas les choses trop à cœur, Monsieur, dit-il en serrant la main du squire. Tout va bien pour lui… Quand un homme est tué en faisant son devoir envers son capitaine et ses armateurs, il n’y a rien à dire…

Sur quoi il me prit à part.

— Docteur Livesey, me demanda-t-il, pour quelle époque attendez-vous le navire de secours ?

Comme je le lui expliquai, c’était une question de mois plus que de semaines ou de jours. Il avait été convenu avec Blandly que, si nous n’étions pas de retour à la fin d’août, il enverrait un second schooner à notre recherche, ni plus tôt ni plus tard.

— Faites le calcul vous même, dis-je pour conclure.

— Eh bien, alors, répondit le capitaine en fourrageant dans ses cheveux, sans être ingrat pour les bienfaits de la Providence, je crois pouvoir dire, docteur, que nous sommes dans de fichus draps…

— Bah ! répondis-je, nous en sortirons.

— Il est bien regrettable que nous ayons perdu ce second chargement, reprit le capitaine en suivant son idée. Pour la poudre et le plomb, cela peut encore aller, mais ce sont les rations qui sont courtes, docteur !… si courtes que, ma foi, peut-être faut-il moins regretter une bouche de plus…

Et il désignait le pauvre Redruth enseveli sous son pavillon.

À ce moment un boulet passa en sifflant au-dessus du blockhaus et alla se perdre dans les bois.

« Oh ! oh !… fit le capitaine, amusez-vous, mes amis, comme si vous aviez de la poudre de reste !…

Un second coup de canon porta plus juste, et le boulet tomba dans le blockhaus, en soulevant un nuage de poussière et de sable, mais heureusement sans blesser personne.

— Capitaine, fit observer le squire, le fort est absolument invisible de la mer. Il faut donc que ce soit votre pavillon qui serve de point de mire. Ne serait-il pas plus sage de le redescendre ?

— Abaisser mon pavillon ! s’écria le capitaine. Non, monsieur, je ne ferai point cela. »

Et il avait à peine énoncé cette déclaration, que nous étions tous de son avis. Ce pavillon n’était pas seulement un symbole de devoir et d’honneur : il servait encore à montrer aux révoltés que nous nous occupions peu de leur bombardement.

Tout la soirée le feu continua ; les boulets se suivaient de près, les uns passant au-dessus de nos têtes, les autres tombant au pied du