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MON AVENTURE À TERRE

visage. De tous les mendiants que j’avais vus ou imaginés, c’était le maître en fait de haillons. Des lambeaux de vieille toile à voile et de vieux cirés le vêtaient ; et cette bizarre mosaïque tenait ensemble par un système d’attaches des plus variées et des plus incongrues : boutons de métal, liens d’osier, nœuds de filin goudronné. Autour de sa taille, il portait un vieux ceinturon de cuir à boucle de cuivre, qui était la seule partie solide de tout son accoutrement.

— Trois ans ! m’écriai-je. Vous avez fait naufrage ?

— Non, camarade, répondit-il, marronné.

Je connaissais le terme, et savais qu’il désignait un de ces horribles châtiments usités chez les flibustiers, qui consiste à déposer le coupable, avec un peu de poudre et quelques balles, sur une île déserte et lointaine.

— Marronné depuis trois ans, continua-t-il, et pendant ce temps j’ai vécu de chèvres, de fruits et de coquillages. À mon avis, n’importe où l’on se trouve, on peut se tirer d’affaire. Mais, camarade, mon cœur aspire à une nourriture de chrétien. Dis, n’aurais-tu pas sur toi, par hasard, un morceau de fromage ? Non ? Ah ! c’est qu’il y a des nuits et des nuits que je rêve de fromage… grillé, surtout… et puis je me réveille, et je me retrouve ici.

— Si jamais je peux retourner à bord, répliquai-je, vous aurez du fromage, au quintal.

Durant tout ce temps, il avait tâté l’étoffe de ma vareuse, caressé mes mains, examiné mes souliers, et, bref, manifesté un plaisir d’enfant à voir auprès de lui un congénère. Mais à mes derniers mots, il leva la tête avec une sorte d’étonnement sournois.

— Si jamais tu peux retourner à bord, dis-tu ?