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MON AVENTURE EN MER

heure, n’ayant rien d’autre à faire, je commençai à leur accorder plus d’attention.

L’une de ces voix était celle du quartier-maître, Israël Hands, l’ex-canonnier de Flint. L’autre appartenait, comme de juste, à mon bon ami au bonnet rouge. Les deux hommes en étaient manifestement au pire degré de l’ivresse, et ils buvaient toujours ; car, tandis que j’écoutais, l’un d’eux, avec une exclamation d’ivrogne, ouvrit la fenêtre de poupe et jeta dehors un objet que je devinai être une bouteille vide. Mais ils n’étaient pas seulement ivres, ils étaient évidemment aussi dans une furieuse colère. Les jurons volaient dru comme grêle, et de temps à autre il en survenait une explosion telle que je m’attendais à la voir dégénérer en coups. Mais à chaque fois la querelle s’apaisait, et le diapason des voix retombait pour un instant, jusqu’à la crise suivante, qui passait à son tour sans résultat.

À terre, entre les arbres du rivage, je pouvais voir s’élever les hautes flammes du grand feu de campement. Quelqu’un chantait une vieille complainte de marin, triste et monotone, avec un trémolo à la fin de chaque couplet, et qui ne devait finir, semblait-il, qu’avec la patience du chanteur. Je l’avais entendue plusieurs fois durant le voyage, et me rappelais ces mots :


Un seul survivant de tout l’équipage
Qui avait pris la mer au nombre de soixante-quinze.


Et je me dis qu’un tel refrain n’était que trop fâcheusement approprié à une bande qui avait subi de telles pertes le matin même. Mais, à ce que je voyais, tous ces forbans étaient aussi insensibles que la mer où ils naviguaient.

Finalement la brise survint : la goélette se dé-