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MON AVENTURE EN MER

Hands et son compagnon enlacés en une mortelle étreinte et se serrant la gorge réciproquement.

Je me laissai retomber sur le banc, mais juste à temps, car j’étais presque par-dessus bord. Pour un instant je ne vis plus rien d’autre que ces deux faces haineuses et cramoisies, oscillant à la fois sous la lampe fumeuse ; et je fermai les paupières pour laisser mes yeux se réaccoutumer aux ténèbres.

L’interminable mélopée avait pris fin, et autour du feu de campement toute la troupe décimée avait entonné le chœur que je connaissais trop :


Nous étions quinze sur le coffre du mort…
Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum !
La boisson et le diable ont expédié les autres,
Yo-ho-ho ! et une bouteille de rhum !


J’étais en train de songer à l’œuvre que la boisson et le diable accomplissaient en ce moment même dans la cabine de l’Hispaniola, lorsque je fus surpris par un soudain coup de roulis du coracle. Au même instant, il fit une violente embardée et parut changer de direction. Sa vitesse aussi avait augmenté singulièrement.

J’ouvris les yeux aussitôt. Tout autour de moi, de petites rides se hérissaient de crêtes bruissantes et légèrement phosphorescentes. À quelques brasses, l’Hispaniola elle-même, qui m’entraînait encore dans son sillage, semblait hésiter sur sa direction, et je vis ses mâts se balancer légèrement sur la noirceur de la nuit. En y regardant mieux, je m’assurai qu’elle aussi virait vers le sud.

Je tournai la tête, et mon cœur bondit dans ma poitrine. Là, juste derrière moi, se trouvait la lueur du feu de campement. Le courant avait obliqué à angle droit et emportait avec lui la majestueuse goélette et le petit coracle bondissant ; toujours plus