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MON AVENTURE EN MER

trister de cette perspective. Mais bien avant d’en être arrivé à une conclusion, la surprise me posséda entièrement, et je devins incapable de faire autre chose que de regarder et de m’ébahir.

L’Hispaniola était sous sa grand-voile et ses deux focs : la belle toile blanche éclatait au soleil comme de la neige ou de l’argent. Quand je la vis tout d’abord, toutes ses voiles portaient : elle faisait route vers le nord-ouest ; et je présumai que les hommes qui la montaient faisaient le tour de l’île pour regagner le mouillage. Bientôt elle appuya de plus en plus à l’ouest, ce qui me fit croire qu’ils m’avaient aperçu et allaient me donner la chasse. Mais à la fin, elle tomba en plein dans le lit du vent, fut repoussée en arrière, et resta là un moment inerte, les voiles battantes.

« Les maladroits ! me dis-je, il faut qu’ils soient soûls comme des bourriques. » Et je m’imaginai comment le capitaine Smollett les aurait fait manœuvrer.

Cependant la goélette abattit peu à peu, et entreprenant une nouvelle bordée, vogua rapidement une minute ou deux, pour s’arrêter une fois encore en plein dans le lit du vent. Cela se renouvela à plusieurs reprises. De droite et de gauche, en long et en large, au nord, au sud, à l’est et à l’ouest, l’Hispaniola naviguait par à-coups zigzagants, et chaque répétition finissait comme elle avait débuté, avec des voiles battant paresseusement. Il devint clair pour moi que personne ne la gouvernait. Et, dans cette hypothèse, que faisaient les hommes ? Ou bien ils étaient ivres morts, ou ils avaient déserté, pensai-je ; et peut-être, si je pouvais arriver à bord, me serait-il possible de rendre le navire à son capitaine.

Le courant chassait vers le sud à une même