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L’ÎLE AU TRÉSOR

pauvre aveugle… qui a perdu le don précieux de la vue en défendant son cher pays natal, l’Angleterre, et le roi George, que Dieu bénisse… où et en quel lieu de ce pays il peut bien se trouver présentement ?

— Vous êtes à l’Amiral Benbow, crique du Mont-Noir, mon brave homme, lui répondis-je.

— J’entends une voix, reprit-il, une voix jeune. Voudriez-vous me donner la main, mon aimable jeune ami, et me faire entrer ?

Je lui tendis la main, et le hideux aveugle aux paroles mielleuses l’agrippa sur-le-champ comme dans des tenailles. Tout effrayé, je voulus me dégager, mais l’aveugle, d’un simple effort, m’attira tout contre lui :

— Maintenant, petit, mène-moi auprès du capitaine.

— Monsieur, répliquai-je, sur ma parole je vous jure que je n’ose pas.

— Ah ! ricana-t-il, c’est comme ça ! Mène-moi tout de suite à l’intérieur, ou sinon je te casse le bras.

Et tout en parlant il me le tordit, si fort que je poussai un cri.

— Monsieur, repris-je, c’est pour vous ce que j’en dis. Le capitaine n’est pas comme d’habitude. Il a toujours le coutelas tiré. Un autre monsieur…

— Allons, voyons, marche ! interrompit-il.

Jamais je n’ouïs voix plus froidement cruelle et odieuse que celle de cet aveugle. Elle m’intimida plus que la douleur, et je me mis aussitôt en devoir de lui obéir. Je franchis le seuil et me dirigeai droit vers la salle où se tenait, abruti de rhum, notre vieux forban malade. L’aveugle, me serrant dans sa poigne de fer, m’attachait à lui et s’appuyait sur moi presque à me faire succomber.