Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/11

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filles » ; et on le voyait toujours en tête des rixes. Mais, par ailleurs, bien qu’il fût le premier à y prendre part, on remarquait qu’il s’en tirait immanquablement le mieux, et que ses compagnons de débauche étaient seuls, d’ordinaire, à payer les pots cassés. Ce bonheur ou cette chance lui suscita quelques ennemis, mais, chez la majorité, rehaussa son prestige ; au point qu’on augurait pour lui de grandes choses, dans l’avenir, lorsqu’il aurait acquis plus de pondération. Une fort vilaine histoire entachait sa réputation ; mais elle fut étouffée à l’époque, et la légende l’avait tellement défigurée dès avant mon arrivée au château, que j’ai scrupule de la rapporter. Si elle est vraie, ce fut une action atroce de la part d’un si jeune homme ; et si elle est fausse, une infâme calomnie. Je dois faire remarquer d’abord qu’il se targuait sans cesse d’être absolument implacable, et qu’on l’en croyait sur parole : aussi avait-il dans le voisinage la réputation d’être « un homme pas commode à contrarier ». Bref, ce jeune noble (il n’avait pas encore vingt-quatre ans en 1745) était, pour son âge, fort connu dans le pays. On s’étonnera d’autant moins qu’il fût peu question du second fils, Mr. Henry (mon feu Lord Durrisdeer), lequel n’était ni très mauvais, ni très capable non plus, mais un garçon de cette espèce honnête et solide, fréquente parmi ses voisins. Il était peu question de lui, dis-je ; mais il n’y avait effectivement pas grand-chose à en dire. Il était connu des pêcheurs de saumon du firth, car il aimait beaucoup à les accompagner ; il était en outre excellent vétérinaire et il donnait un bon coup de main, presque dès l’enfance, à l’administration du domaine. Combien ce rôle était difficile, vu la situation de la famille, nul ne le sait mieux que moi ; et non plus avec quelle faible apparence de justice un homme pouvait y acquérir la réputation d’être un tyran et un ladre. Le quatrième personnage de la maison était Miss Alison Graeme, une proche parente, orpheline et l’héritière d’une fortune considérable que son père avait acquise dans le commerce. Cet argent était fort nécessaire aux besoins de Mylord, car les terres