Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/16

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mauvais, il n’importe. En somme, – joueur comme il ne cessa de l’être toute sa vie, – il se souciait moins du succès de la campagne que de la haute faveur où il pouvait aspirer, au cas où par chance elle réussirait. D’ailleurs, il se comporta fort bien sur le champ de bataille ; personne ne le contestait, car il n’était pas lâche.

Ensuite vinrent les nouvelles de Culloden, apportées à Durrisdeer par un des fils de tenanciers, – l’unique survivant, affirmait-il, de tous ceux qui étaient partis en chantant sur la colline. Par un malheureux hasard, John-Paul et Macconochie avaient, le matin même, découvert la guinée – origine de tout le mal – enfoncée dans un buisson de houx. Ils s’en étaient allés « haut le pied » comme disaient les serviteurs à Durrisdeer, chez le changeur ; et il leur restait peu de chose de la guinée, mais encore moins de sang-froid. Aussi John-Paul ne s’avisa-t-il pas de se précipiter dans la salle où la famille était en train de dîner, en s’écriant que « Tam Macmorland venait d’arriver et – hélas ! hélas ! – il ne restait plus personne pour venir après lui ! »

Ils accueillirent ces paroles avec un silence de condamnés. Seulement, Mr. Henry se mit la main devant le visage, et Miss Alison cacha entièrement sa tête entre ses bras étendus sur la table. Quant à Mylord, il était couleur de cendre.

– J’ai encore un fils, dit-il. Oui, Henry, et je vous rends cette justice : c’est le meilleur qui reste.

C’était là une chose singulière à dire en pareil temps ; mais Mylord se souvenait toujours des paroles de Mr. Henry, et il avait sur la conscience des années d’injustice. C’était néanmoins une chose singulière, et plus que Miss Alison n’en pouvait supporter. Elle éclata, blâmant Mylord pour ce mot dénaturé, et Mr. Henry parce qu’il était assis là en sécurité, alors que son frère était mort, et elle-même parce qu’elle avait parlé durement à son fiancé lorsqu’il était parti, l’appelant à présent la fleur des hommes, se tordant les mains, protestant de son amour, et criant son nom à travers