Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/187

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J’étais alors tout à fait décidé.

– Voulez-vous m’accorder un quart d’heure à Saint-Bride, dis-je. J’ai quelques mots indispensables à dire à Carlyle.

– Une heure si vous préférez. Je ne vous cacherai pas que l’argent de votre strapontin est pour moi de quelque importance, et vous arriveriez toujours premier à Glasgow en allant à franc-étrier.

– Ma foi, dis-je, je ne me serais jamais attendu à quitter la vieille Écosse.

– Cela vous dégourdira, dit-il.

– Ce voyage sera funeste à quelqu’un, dis-je ; à vous, monsieur, j’espère. Quelque chose me le dit ; et ce quelque chose ajoute, en tout cas, que ce voyage est de mauvais augure.

– Si vous croyez aux prophéties, dit-il, écoutez cela.

Une bourrasque violente s’abattait sur le golfe de Solway, et la pluie fouettait les hautes fenêtres.

– Savez-vous ce que cela présage, sorcier ? dit-il, en patoisant : qu’il y aura un certain Mackellar malade comme pas un, en mer.

Une fois rentré dans ma chambre, je m’assis en proie à une pénible surexcitation, prêtant l’oreille au tumulte de la tempête, qui battait en plein ce mur du château.

L’inquiétude de mes esprits, les miaulements diaboliques du vent autour des poivrières, et la trépidation continuelle de la maçonnerie du château, m’empêchèrent absolument de dormir. Je restais devant mon bougeoir à contempler les ténébreux carreaux de la fenêtre, par où la tourmente paraissait devoir faire irruption à chaque instant ; et sur ce tableau noir je voyais se dérouler des conséquences qui me faisaient dresser les cheveux sur la tête. L’enfant corrompu, la maisonnée dispersée, mon maître mort ou pis que mort, ma maîtresse plongée dans la désolation – voilà ce que je vis se peindre vivement sur l’obscurité ; et la clameur du vent paraissait railler mon impuissance.