Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/206

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avantages, voilà la guerre. Ah ! Mackellar, vous êtes un diantre de soldat, dans votre bureau de régisseur à Durrisdeer, où les tenanciers vous font grave injure !

– Je me soucie peu de ce que la guerre est ou n’est pas, répliquai-je. Mais vous m’assommez, de prétendre à mon respect. Votre frère est un homme bon, et vous en êtes un mauvais, – ni plus ni moins.

– Si j’avais été Alexandre… commença-t-il.

– Voilà comme nous nous leurrons nous-mêmes, m’écriai-je. Si j’avais été saint Paul, c’eût été tout un ; j’aurais de même gâché ma carrière comme vous me le voyez faire à présent.

– Je vous dis, s’écria-t-il, après m’avoir laissé parler, que si j’avais été le moindre petit chef des Highlands, si j’avais été le dernier des rois nègres au centre de l’Afrique, mon peuple m’eût adoré. Un mauvais homme, moi ? Mais j’étais né pour faire un bon tyran ! Demandez à Secundra Dass ; il vous dira que je le traite comme un fils. Mettez votre enjeu sur moi demain, devenez mon esclave, ma chose, une dépendance de moi-même, qui m’obéisse à l’instar de mes membres et de mon esprit, – et vous ne verrez plus ce mauvais côté que je tourne vers le monde, dans ma colère. Il me faut tout ou rien. Mais si c’est tout que je reçois, je le rends avec usure. J’ai le tempérament d’un roi, c’est ce qui fait ma perte.

– Ce qui fait plutôt la perte des autres, observai-je ; et c’est là le revers de la médaille avec la royauté.

– Vétilles ! s’écria-t-il ; aujourd’hui encore, sachez-le, j’épargnerais cette famille, à laquelle vous prenez si grand intérêt ; oui, aujourd’hui encore – et dès demain je les laisserais à leur petit train-train, et m’enfoncerais dans cette jungle de larrons et de coupe-jarrets qui se nomme le monde. Oui, je le ferais demain !… mais… mais…

– Mais quoi ? demandai-je.

– Mais j’exige qu’ils viennent m’en supplier à genoux. En public aussi, il me semble, ajouta-t-il avec un sourire. Du reste, Mackellar, je doute qu’il existe