Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/225

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ment dépêtré. Bref, je remplis ma mission à contrecœur, et d’après le peu que je vis du capitaine, j’en revins préoccupé. Je le trouvai dans une petite pièce malodorante, assis devant une chandelle qui coulait et une bouteille vide ; il lui restait quelque chose d’une allure militaire, ou plutôt c’était là une affectation, car ses manières étaient triviales. – Vous direz à Mylord, en lui présentant mes respects, que je serai chez Sa Seigneurie dans moins d’une demi-heure, dit-il, après avoir lu le billet ; puis il eut la vulgarité, en me montrant la bouteille vide, de vouloir me faire chercher à boire pour lui.

Je revins au plus vite, mais le capitaine me suivit de près, et il resta jusque tard dans la nuit. Le coq chantait pour la deuxième fois quand je vis (de ma fenêtre) Mylord le reconduire en l’éclairant jusqu’à la porte, – et tous deux, affectés par leurs libations, s’appuyaient parfois l’un sur l’autre pour confabuler. Cependant dès le matin, très tôt, Mylord sortit avec cent livres en poche. Je ne crois pas qu’il revint avec la somme ; mais je suis sûr qu’elle n’était pas destinée au Maître, car je rôdai toute la matinée aux abords de sa boutique. Ce fut la dernière fois que Mylord Durrisdeer sortit de chez lui jusqu’à notre départ de New York ; il se promenait dans le jardin, ou restait en famille, comme à l’ordinaire ; mais la ville ne le voyait plus, et ses visites quotidiennes au Maître paraissaient oubliées. Quant à ce Harris, il ne reparut plus, ou du moins pas avant la fin.

J’étais alors très opprimé par l’intuition des mystères parmi lesquels nous avions commencé de nous mouvoir. À lui seul, son changement d’habitudes dénotait que Mylord avait quelque grave souci ; mais quel était ce souci, d’où il provenait, ou pourquoi Mylord ne sortait plus de la maison ou du jardin, je ne le devinais pas. Il était clair, jusqu’à l’évidence, que les pamphlets avaient joué un certain rôle dans cette transformation. Je lisais tous ceux que je pouvais découvrir, et tous étaient des plus insignifiants, et contenaient les mêmes grossièretés scurriles que d’habitude : voire un grand