Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/231

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tion une faiblesse de la chair, presque coupable, car mon esprit demeurait fermement dressé contre lui. Il est vrai encore que c’était une chose d’assumer la responsabilité et le danger d’un attentat criminel, et que c’en était une autre de laisser de gaieté de cœur Mylord courir le danger de s’avilir. Mais c’était sur cette dernière considération elle-même que reposait mon inaction. Car (eussé-je été capable d’intervenir) je pouvais bien ne pas sauver le Maître, mais je ne pouvais laisser Mylord devenir la fable du public. Voilà donc pourquoi je n’agis pas ; et c’est encore sur les mêmes raisons que je me fonde pour justifier ma ligne de conduite. Nous vivions donc en Albany, mais bien que nous fussions tous deux étrangers dans la ville, Mylord avait quantité de connaissances au-delà du coup de chapeau. Mylord s’était muni de lettres d’introduction pour les notabilités de la ville et des environs ; il avait fréquenté d’autres personnes à New York : il sortait donc beaucoup, et j’ai le regret de dire qu’il était en même temps d’habitudes trop faciles. J’étais toujours couché, mais je ne dormais pas, lorsqu’il rentrait ; et il ne se passait guère de nuit où il ne trahît pas l’influence de la boisson. Le jour, il persistait à m’accabler de tâches sans fin, qu’il s’efforçait de diversifier avec une ingéniosité remarquable, telle une toile de Pénélope. Je ne m’y dérobais point, car j’étais payé pour obéir à ses ordres ; mais je ne prenais pas la peine de lui dissimuler que je le perçais à jour, et le raillais quelquefois en face.

– Je finirai par croire que vous êtes le diable et moi Michael Scott, lui dis-je un matin. Voilà que j’ai jeté un pont sur la Tweed et séparé les Eildons ; et maintenant vous me mettez à filer la corde de sable.

Il me considéra de ses yeux luisants, puis les détourna en remuant les lèvres, mais sans parler.

– Bon, bon, Mylord, dis-je, votre volonté est mon plaisir. Je recopierai ceci pour la quatrième fois ; mais je vous prierais d’inventer une nouvelle besogne pour demain ; car, ma foi, je suis las de celle-ci.

– Vous ne savez pas ce que vous dites, répliqua