Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/48

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délivrance, lorsqu’on aurait gagné assez pour rompre l’association.

Je lui avouai ingénument que j’avais les nerfs très éprouvés par cet horrible milieu, et que je n’osais guère lui répondre de moi.

– Je ne me laisse pas effrayer aisément, répliqua-t-il, ni battre.

Quelques jours plus tard, survint un incident qui faillit nous faire pendre tous, et qui offre l’exemple le plus extravagant de la folie qui présidait à notre conduite. Nous étions tous très ivres ; et quelque bedlamite ayant signalé une voile, Teach la prit en chasse, sans même y regarder, et nous commençâmes le branle-bas de combat et les vantardises des horreurs à venir. Ballantrae demeurait tranquillement au bossoir, à regarder sous sa main en abat-jour ; mais quant à moi, suivant ma politique vis-à-vis de ces sauvages, j’étais tout à la besogne avec les plus actifs, et les divertissais par mes boutades irlandaises.

– Hissez le pavillon ! s’écria Teach. Montrez à ces jean-f… le Jolly-Roger !

C’était, en l’occurrence, pure forfanterie, et qui pouvait nous coûter une prise de valeur ; mais je ne me permis pas de discuter et, de ma main, je hissai le pavillon noir.

Ballantrae s’en vint aussitôt vers l’arrière, avec un sourire sardonique.

– Vous aurez peut-être plaisir à apprendre, vous, chien d’ivrogne, dit-il, que vous donnez la chasse à un vaisseau royal ?

Teach brailla qu’il en avait menti ; mais il se précipita néanmoins aux bastingages, et tous l’imitèrent. Je n’ai jamais vu tant d’hommes ivres plus soudainement dégrisés. Le croiseur avait viré de bord à notre impudente démonstration ; ses voiles s’enflaient dans la nouvelle direction ; son enseigne se déployait, bien visible ; et, tandis que nous regardions, il y eut une bouffée de fumée puis une détonation, et un boulet plongea dans les vagues, à bonne distance de nous, trop court. On s’élança aux manœuvres, et la Sarah