Page:Stevenson - Le Maître de Ballantrae, 1989.djvu/67

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factieux de son Assemblée le rendait presque fou. Les Indiens des deux partis étaient sur le sentier de la guerre ; nous en vîmes des troupes qui ramenaient des prisonniers et (ce qui était pire) des scalps, d’hommes et de femmes, dont ils recevaient un bon prix ; mais je vous assure que cette vue n’était guère encourageante. En somme, nous ne pouvions arriver en un temps moins propice à nos desseins ; notre situation dans l’auberge principale était terriblement remarquable ; notre Albanien nous lanternait de mille manières, et semblait sur le point d’éluder ses engagements ; rien que des dangers, semblait-il, environnaient les pauvres fugitifs ; et pendant quelques jours, nous noyâmes nos soucis dans un train de vie fort désordonnée.

Ceci même tourna à bien ; et l’on a trop omis de remarquer, à propos de notre évasion, la manière providentielle dont tous nos pas furent conduits jusqu’au bout. Quelle humiliation pour la dignité humaine ! Ma philosophie, le génie supérieur de Ballantrae, notre valeur, en laquelle nous étions, je crois, égaux, – tout cela n’eût servi de rien, si la bénédiction de Dieu n’eût secondé nos efforts. Et comme il est exact, selon ce que l’Église nous enseigne, que les Vérités de la Religion sont, après tout, applicables entièrement à nos affaires quotidiennes ! Du moins, ce fut au cours de nos orgies que nous fîmes la connaissance d’un jeune homme d’esprit distingué, nommé Chew. C’était l’un des plus audacieux trafiquants indiens, très familier avec les pistes du désert, nécessiteux, dissolu, et, par une dernière chance heureuse, un peu brouillé avec sa famille. Nous lui persuadâmes de venir à notre aide ; il apprêta en secret tout ce qui était nécessaire à notre fuite et, un beau jour, nous nous esquivâmes d’Albany, pour nous embarquer, un peu plus loin, sur un canot.

Pour raconter les fatigues et les périls de ce voyage, et leur rendre pleine justice, il faudrait une plume autrement habile que la mienne. Le lecteur doit imaginer l’effrayante solitude qu’il nous fallait parcourir : fourrés, fondrières, rochers, précipices, rivières